Tribune

Aurons-nous un jour honte des mesures thérapeutiques effectuées en prison, pratiquement sans limite dans le temps, suite à des infractions mineures ?

Dans un arrêt récent (6B_1051/2020, du 24 septembre 2021), le Tribunal fédéral a confirmé la prolongation de deux ans d’une mesure thérapeutique en milieu carcéral pour un monsieur reconnu irresponsable : il avait été acquitté six ans aupravant des chefs de diffamation, injure et menaces. Cette mesure thérapeutique en milieu fermé – comprendre en prison – est vue comme une atteinte à sa personnalité proportionnée à la menace que ce monsieur représente pour autrui. Voilà qui doit inquiéter, sinon révolter, sur la façon dont notre ordre juridique traite les plus faibles de ses membres.

Dans cette affaire, l’expertise juge que le risque de récidive pour des actes de même nature et de gravité toute relative -violence verbale, insultes et menaces – est élevé, alors que celui de violences physiques – sans antécédents – est évalué faible. Il est toutefois vivement reproché à ce monsieur de ne pas prendre conscience de cette gravité relative puisque, en qualifiant ses actes de « choses qui font rigoler », il les banaliserait. Bien que les infractions soient expressément qualifiées de « pas particulièrement graves », les tribunaux suivent l’expert qui anticipe, en cas de sortie de prison, un risque de décompensation pouvant entraîner des infractions contre l’intégrité physique – qui n’ont jamais eu lieu auparavant, faut-il le rappeler ? – dès lors que ce monsieur ne serait plus uniquement confronté à du personnel médical ou carcéral. Et l’expert (sic) de mettre en avant, si le cadrage était trop faible, que son trouble de l’estime de soi confronterait l’expertisé à ses manques et risquerait de produire des défenses de type surestimation de soi, attitude orgueilleuse et mépris des autres. Voilà des motifs sérieux pour enfermer un être humain qui semble, en effet, menacer tragiquement autrui !

Il fallait encore, pour prolonger la mesure institutionnelle et refuser de la remplacer par une mesure ambulatoire, que la première n’apparaisse pas vouée à l’échec. Là aussi la motivation des tribunaux semble légère et relever du raisonnement circulaire : même s’il faut reconnaître que processus clinique dans le cadre apporté par le centre de détention est à l’arrêt, il convient, de l’avis des médecins et de l’expert, de maintenir le cadre structurant – la prison, donc – « sans avoir d’attente plus définie en terme d’évolution de la situation clinique » ; et les tribunaux d’expliquer que la mesure n’est pas vouée à l’échec puisque l’expert a proposé de la prolonger. CQFD.

Gageons que, ainsi livré aux experts et aux juges, ce pauvre monsieur ne sortira jamais de son trou. Peut-être serons-nous nombreux·ses à l’y rejoindre, victimes de notre orgueil, de surestimation de nos intelligences ou de mépris des autres, qualités qui s’expriment bruyamment en ces temps de pandémie…

Au-delà de la sombre anecdote, il serait temps s’interroger sur l’incarcération des malades psychiques : combien sont-ils·elles dans ce cas, traité·es en vain pour leur anosognosie, quel danger véritable font-il·elles courir à la société et ne méritent-ils·elles pas un peu plus de respect ?  La Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH RS 0.109) qui oblige l’État à veiller « à ce qu’en aucun cas l’existence d’un handicap ne justifie une privation de liberté » (art. 14 §1 let. b) ne pourrait-elle venir à leur secours ?

6B_1051/2020