Droit de demeurer en Suisse alors qu’une demande AI est pendante ; qualité de travailleur au moment où survient une incapacité permanente de travail

Jurisprudence | Accord sur la libre circulation des personnes

Droit de demeurer en Suisse alors qu’une demande AI est pendante ; qualité de travailleur au moment où survient une incapacité permanente de travail

Résumé
Dame A, portugaise, est arrivée en Suisse en janvier 2008 pour y travailler. Elle a été mise au bénéfice d’une autorisation de séjour UE/AELE. Puis, l’autorisation fut révoquée au motif que Dame A avait perdu sa qualité de travailleuse communautaire fin septembre 2011, qu’elle avait épuisé son droit aux indemnités de chômage, qu’elle émargeait à l’aide sociale et ne semblait pas en mesure de trouver un emploi durable. C’est ainsi que le 30 avril 2014 le Service de la population a imparti à Dame A un délai pour quitter la Suisse. Le 10 octobre 2014 Dame A a néanmoins reçu une nouvelle autorisation de séjour, fondée notamment sur une prise d’emploi dès le 17 juin 2014. Dame A a travaillé jusqu’en février 2015 puis elle a perçu des indemnités du chômage, de mars 2015 jusqu’au 29 août 2017 ; durant cette période elle a été mise au bénéfice d’un certificat d’incapacité totale de travailler pour cause de maladie du 31 juillet au 31 août 2017. Elle a également perçu des indemnités journalières de l’assurance maladie perte de gain et bénéficié du revenu d’insertion. Le 12 février 2018 elle a déposé une demande auprès de l’Office de l’assurance invalidité.

Par décision du 24 juin 2019 le Service de la population a refusé de prolonger son autorisation de séjour. Dame A s’adresse au Tribunal fédéral (ci-après TF) demandant que l’autorisation lui soit accordée au moins jusqu’à droit connu sur sa demande AI.

Le TF admet son recours et renvoie la cause au Tribunal cantonal au terme du raisonnement suivant :
Selon l’Accord sur la libre circulation des personnes (ci-après ALCP) qui renvoie au règlement 1251/70 dans sa version en vigueur au moment de la signature, les travailleurs résidant d’une façon continue en Suisse depuis plus de deux ans et qui cessent d’y occuper un emploi salarié à la suite d’une incapacité permanente de travail ont le droit de demeurer (art. 2 § 1 let b). Selon l’article 4 § 2 du règlement, les périodes de chômage involontaire et les absences pour cause de maladie ou d’accident sont considérées comme des périodes d’emploi.

En l’espèce, Dame A remplit incontestablement la condition du séjour en Suisse depuis plus de deux ans. Reste ainsi à savoir si elle a cessé son activité en raison d’une incapacité permanente de travail et si, au moment où elle a commencé à en souffrir elle bénéficiait encore du statut de travailleur salarié au sens de l’ALCP. Il s’agit donc de déterminer à quel moment on pouvait considérer que l’incapacité de travail de Dame A était permanente, puis établir si, à ce moment, Dame A avait le statut de travailleur ou si elle l’avait perdu.

Le TF a coutume de trancher la question du début de l’incapacité permanente de travail en se fondant sur les résultats de la procédure AI, car elle établit l’existence d’une incapacité permanente et en détermine le début. Toutefois, le TF estime ici que l’incapacité de travail potentiellement permanente a débuté au plus tôt le 31 juillet 2017, date du certificat médical, alors que Dame A avait le statut de travailleur, puisqu’elle se trouvait au chômage involontaire. Toutefois, pour que Dame A puisse bénéficier du droit de demeurer en Suisse encore faut-il établir le caractère permanent de l’incapacité de travail attestée par le certificat du 31 juillet 2017. A cet effet, le TF estime qu’il convient d’attendre les résultats de la procédure AI.

Commentaire
A se pencher sur les détails de la libre circulation des personnes on constate que ce ne sont pas tant les personnes que les travailleurs-euses qui circulent. Il en découle d’une part la nécessité d’interpréter la notion de « travailleur » aussi extensivement que possible afin d’éviter le renvoi brutal des employé-es usagé-es à leurs pénates d’origine. D’autre part, le droit de rester après avoir été essoré par le travail dépend aussi de la longue durée de l’incapacité de travail et de l’appréciation qu’en fera l’Office AI. Ces conditions imprévisibles sont une pénible source d’incertitude pour les personnes qui se sont attachées au pays de leur labeur.

Références
2C_322/2020 du 24 juillet 2020