5 juin 2023 | Curatelles, Publications
Jurisprudence | Curatelles
Pas de curatelle de coopération inutilement intrusive
Résumé
Le 25 mars 2022, Dame A été mise sous curatelle de coopération (art. 396 CC) pour la conclusion de tout nouveau contrat notamment prêt, emprunt, achat de véhicule, d’ordinateur ou de téléphone portable, vente par acompte ou par correspondance. Dame A, qui souffre de troubles psychiques et qui a été victime d’un AVC ayant limité temporairement ses capacités, s’était lancée dans un commerce de concombres de mer séchés avec des pêcheurs du Cameroun ; elle y avait investi une part des CHF 100’000.- reçus d’un proche pour assurer le financement des études de médecine de sa nièce, n’avait pas de business plan et indiquait vouloir se rendre sur place en jet privé alors que ses moyens d’existence se résumaient à une rente AI et des PC. Ces faits, auxquels s’additionnait un placement à des fins d’assistance pour désorientation de la pensée, tentatives de fugue, agressivité et éléments de persécution, avaient suffisamment inquiété l’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte (ci-après APEA) pour expliquer l’instauration d’une curatelle.
Dame A se plaint d’une violation du principe de proportionnalité et le Tribunal fédéral (ci-après TF) lui donne raison. La curatelle de coopération implique que les contrats passés par la personne protégée ne sont valables que si le·la curateur·trice y consent avant ou après leur conclusion. Dans le cas présent, même si la décision de curatelle donne une liste des actes nécessitant le consentement du·de la curateur·trice, c’est en réalité la conclusion de tout contrat qui est visée quelle que soit sa nature ou son importance. Certes, au vu des opérations commerciales douteuses d’une grande ampleur financière, l’APEA avait raison de retenir un besoin de protection auquel une curatelle de coopération pourrait répondre. Cependant, pour parer au risque d’opérations hasardeuses il était suffisant de limiter le consentement du curateur de Dame A aux contrats dépassant un certain montant. La décision cantonale est annulée.
En revanche TF ne tranche pas la question abstraite de savoir si une curatelle de coopération qui porterait sur tous les actes de la personne concernée respecterait les principes de proportionnalité et de subsidiarité que l’APEA doit respecter quand elle détermine les tâches à accomplir en raison d’un besoin d’aide. La question reste donc ouverte.
Commentaire
Voilà une juste application du principe de proportionnalité
Le droit de la protection de l’adulte a l’ambition de promouvoir des mesures sur mesure c’est-à-dire qui épousent étroitement les besoins de la personne ; ce serait parfait si cela se produisait en première instance.
Référence
5A_537/2022 du 15 février 2023
31 mai 2023 | Curatelles, Jurisprudences
Curatelle | Jurisprudence
Éléments que le curateur ou la curatrice doit examiner avant de résilier un bail
Résumé
Dame A est sous curatelle de représentation et de gestion. En août 2022, Monsieur B, son curateur, est autorisé à résilier son bail, à liquider son ménage, à considérer la possibilité de mettre ses nombreux meubles en garde-meubles et enfin à l’aider à rechercher un logement conforme à ses besoins et sa situation financière. En effet, la situation financière de Dame A et de son époux est des plus précaires : Dame A est endettée de CHF 113’000.- et son époux de CHF 89’000.-. De plus, la gérance en charge de l’appartement des époux multiplie les demandes d’intervention à l’égard de Monsieur B. Dame A paie un loyer de CHF 1’650.- pour un logement de 4 pièces dans lequel elle demeure seule dans l’attente du retour à domicile de son mari. Cependant, ce retour se heurte à de nombreuses contraintes logistiques ainsi qu’à des difficultés personnelles comme l’impossibilité de Dame A de collaborer avec les personnes qui soignent son époux au point que la représentation thérapeutique de celui-ci lui a été retirée. Ainsi, il ne se justifierait plus qu’elle restât seule dans un appartement prévu pour deux alors même que ses revenus ne lui permettent pas de couvrir son minimum vital.
Dame A conteste cette décision. Elle se plaint d’une violation de l’art. 416 al. 1.ch 1 CC devant le Tribunal fédéral (ci-après TF) qui lui donne raison et renvoie l’affaire à l’autorité précédente pour nouvelle décision. Le TF admet que la situation financière de Dame est obérée, qu’elle occupe seule un appartement prévu pour deux et que son attitude met en péril le retour de son époux à domicile. Toutefois, comme le but visé par la mesure est de la reloger à meilleurs compte on ne saurait liquider son ménage en ignorant quel serait le montant du nouveau loyer, le coût de la location d’un garde-meuble et les frais du déménagement. Ces montants doivent être établis avec précision avant de confirmer l’autorisation de résilier le bail et de liquider le ménage. Faute de telles précisions le droit fédéral est violé.
Commentaire
Certains faits propres aux personnes en difficultés appellent des solutions radicales qui peuvent être pénibles à vivre. C’est parce qu’elles font mal que les autorités de protection de l’adulte ne peuvent pas se dispenser des calculs précis qui les justifient.
Les personnes se trouvant dans ces situations de contrainte sauront qu’elles peuvent s’opposer à une solution irréfléchie, insuffisamment pesée ou mal documentée.
Référence
5A_970/2022 du 8 février 2023
23 décembre 2020 | Curatelles, Jurisprudences
Jurisprudence | Curatelles
Droit d’être entendu: se prononcer sur le contenu d’un certificat médical
Résumé
Dame A est connue pour un délire persécutoire depuis 1993. En 2002 une curatrice est nommée pour permettre une intervention chirurgicale vitale, toute mesure tutélaire plus incisive étant refusée faute de danger et au motif que Dame A parvient à gérer ses affaires. En 2011 la mère de Dame A dépose une requête en interdiction expliquant que sa fille s’est clochardisée, qu’elle a perdu sa rente AI faute de se présenter aux rendez-vous fixés et que ses primes d’assurance maladie ne sont plus payées. Le tribunal désigne une curatrice à titre provisoire et la procédure suit son cours. Dame A, assistée d’une avocate, ne se présente ni aux audiences du tribunal ni à l’expertise psychiatrique, la police n’étant pas en mesure de la localiser. Son avocate explique l’avoir vue pour la dernière fois en juin 2014 dans un parc. En février 2015 le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant instaure une curatelle de représentation et de gestion en faveur de Dame A. Celle-ci recourt contre la mesure par la voix de son avocate, mais ne se présente pas à l’audience de la Chambre de surveillance. Elle délie toutefois le Docteur B de son secret médical. Il ressort du certificat médical du Docteur B que Dame A n’est pas en mesure d’effectuer seule les démarches nécessaires à garantir ses besoins financiers, mais qu’elle sait gérer l’argent de son entretien. Sur cette base, la Chambre de surveillance confirme la mesure de protection. Se plaignant d’une violation de son droit d’être entendue, Dame A s’adresse au Tribunal fédéral (ci-après TF) qui lui donne raison.
Le TF rappelle que le droit d’être entendu, protégé par la Constitution fédérale et la Convention européenne des droits de l’Homme exige que ce soient les parties à un procès et non le juge qui décident si une pièce versée à la procédure appelle des observations de leur part. Il constate alors que le certificat médical sur lequel la cour cantonale s’est fondée pour confirmer la curatelle n’avait pas été communiqué à Dame A, qui n’avait ainsi pas eu l’opportunité de se prononcer. L’affaire est renvoyée au canton afin que Dame A puisse s’exprimer sur le certificat du Docteur B.
Commentaire
Il faut rendre hommage à la justice pour son strict respect du droit d’être entendu d’une personne dont la souffrance psychique entrave gravement la capacité de communiquer. Dans le monde des intervenants psychosociaux, à l’inverse, la tentation est vive de passer outre le respect des droits fondamentaux de personnes dont le besoin d’aide est criant.
Références
5A_1007 / 2015