Droit à un défenseur d’office pour une personne souffrant d’un trouble de la personnalité émotionnellement labile de type borderline

Jurisprudence | Droit pénal

Droit à un défenseur d’office pour une personne souffrant d’un trouble de la personnalité émotionnellement labile de type borderline

Résumé
Dame A est condamnée pour avoir hébergé des ressortissants étrangers sans autorisation de séjour en Suisse et avoir accepté de leur part le produit d’un vol. Elle s’oppose à sa condamnation et demande la désignation d’un défenseur d’office qui lui est refusé au motif que la cause ne serait pas compliquée et que, même si elle est à l’assurance invalidité, rien ne démontrerait que ce soit en raison d’une atteinte à la santé psychique qui l’empêcherait de se défendre. Considérant qu’elle n’est pas en mesure de se défendre seule en raison des troubles de la personnalité dont elle souffre, Dame A s’adresse au Tribunal fédéral (ci-après TF) pour demander que Me B lui soit désigné comme défenseur et obtient gain de cause.

Le TF rappelle que, aux termes de l’article 130 lettre c du code de procédure pénale* (CPP RS 3112.0), la capacité à procéder doit être examinée d’office et que l’incapacité n’est reconnue que très exceptionnellement. En ce qui concerne les empêchements psychiques il faut établir que le·la prévenu·e ne saisit pas ou plus les enjeux auxquels il·elle est confronté·e sans nécessairement souffrir de troubles d’ordre psychiatrique. La direction de la procédure dispose d’une marge d’appréciation pour déterminer si le·la prévenu·e peut suffisamment se défendre ou non.

Le TF constate que la demande de Dame A a été rejetée notamment parce que la mesure de curatelle dont elle avait fait l’objet avait pu être levée suite à une stabilisation de sa santé : l’abandon de la curatelle démontrerait que Dame A n’est pas atteinte psychiquement au point de devoir être assistée dans une affaire pénale ne présentant pas de difficultés. Au surplus, le fait qu’une assistance sociale lui demeure nécessaire pour la gestion de ses affaires courantes ne saurait justifier à lui seul la désignation d’un·e défenseur·euse d’office. Relevant que Dame A avait produit un certificat médical établissant l’existence et l’ampleur de ses troubles psychiques (personnalité émotionnellement labile de type borderline, épisode dépressif moyen) le TF estime qu’une défense obligatoire se justifie dans cette affaire : même si Dame A avait pu s’exprimer de manière cohérente devant la police, des questions d’ordre juridique sont abordées en audience, ce qui nécessite de pouvoir se déterminer. L’ensemble des circonstances démontre qu’il subsiste un doute sur la capacité de Dame A à faire valoir à bon escient sa position dans une procédure qui présente un certain enjeu, vu ses antécédents judiciaires.

* Art. 130 Défense obligatoire

Le prévenu doit avoir un défenseur dans les cas suivants:

c. en raison de son état physique ou psychique ou pour d’autres motifs, il ne peut pas suffisamment défendre ses intérêts dans la procédure et ses représentants légaux ne sont pas en mesure de le faire;

Commentaire
Impossible de savoir combien d’autres prévenu·es en souffrance psychique se voient refuser une défense parce que la direction de la procédure (soit le ministère public jusqu’à la mise en accusation , puis le·la juge) s’accommode de leurs difficultés et les minimise…

Référence
1B_285/2016 du 1er septembre 2016

La schizophrénie du prévenu n’est pas un risque concret de récidive

Jurisprudence | Droit pénal

La schizophrénie du prévenu n’est pas un risque concret de récidive

Résumé
Sieur A, qui souffre de schizophrénie, a été condamné en 2013 à une peine privative de liberté de six mois, suspendue au profit d’un traitement institutionnel en milieu ouvert. Entre 2014 et 2017 Sieur A a été transféré d’une clinique vers une prison, de la prison en foyer, du foyer vers la clinique puis finalement transféré en milieu pénitentiaire fermé sur la base d’une expertise concluant à la nécessité d’un environnement contrôlé ne permettant ni fugue ni manquement aux entretiens thérapeutiques ou aux activités proposées. Selon l’expertise l’adhésion fragile aux mesures était liée à l’anosognosie de Sieur A, son évolution psychologique par rapport à ses actes demeurait superficielle de sorte qu’il était à craindre qu’en cas de rupture future du lien thérapeutique il ne retombe dans les travers qui lui avaient valu une condamnation. Sieur A s’insurge jusqu’au Tribunal fédéral (ci-après TF) qui annule le placement en milieu fermé.

Le TF rappelle tout d’abord les conditions d’un placement en milieu fermé de l’article 59 alinéa 3 du code pénal* (ci-après CP) : risque de fuite ou de récidive qualifié c’est-à-dire concret avec de hautes probabilités de nouvelles infractions. Le risque de fuite n’est avéré que si l’intéressée a la ferme intention de s’évader en ayant recours à la force si nécessaire et qu’il dispose des facultés intellectuelles, physiques et psychiques nécessaires alors que le risque de récidive suppose une dangerosité interne par exemple lorsque le prévenu profère des menaces précises. Reprenant les constats de la cour cantonale le TF juge que ces conditions ne sont pas remplies en l’espèce. En effet, les fugues de Sieur A n’étaient pas liées à une volonté de se soustraire au traitement et son comportement durant ces périodes n’avait donné lieu à aucune plainte même s’il en profitait pour consommer du cannabis. S’agissant du risque de récidive retenu par la cour cantonale, il était hypothétique et se fondait sur un événement futur potentiel à savoir la rupture du lien thérapeutique. D’autre part, la violation des règles internes à l’établissement et le risque de récidive inhérent à toute personne faisant l’objet d’une mesure thérapeutique ne suffisent pas à justifier un placement en milieu fermé au sens de l’art. 59 al. 3 CP. Enfin, rien ne permettait de de conclure que le placement en milieu fermé favoriserait l’amélioration de l’état clinique de Sieur A. Par conséquent le TF annule le placement de Sieur A en milieu fermé.

*Art. 59

  1. Lorsque l’auteur souffre d’un grave trouble mental, le juge peut ordonner un traitement institutionnel aux conditions suivantes :
    – l’auteur a commis un crime ou un délit en relation avec ce trou­ble;
    – il est à prévoir que cette mesure le détournera de nouvelles infractions en relation avec ce trouble
  2. Le traitement institutionnel s’effectue dans un établissement psychiatrique approprié ou dans un établissement d’exécution des mesures.
  3. Le traitement s’effectue dans un établissement fermé tant qu’il y a lieu de craindre que l’auteur ne s’enfuie ou ne commette de nouvelles infractions. Il peut aussi être effectué dans un établissement pénitentiaire au sens de l’art. 76, al. 2, dans la mesure où le traitement thérapeutique nécessaire est assuré par du personnel qualifié.
  4. La privation de liberté entraînée par le traitement institutionnel ne peut en règle générale excéder cinq ans. Si les conditions d’une libé­ration conditionnelle ne sont pas réunies après cinq ans et qu’il est à prévoir que le maintien de la mesure détournera l’auteur de nouveaux crimes ou de nouveaux délits en relation avec son trouble mental, le juge peut, à la requête de l’autorité d’exécution, ordonner la prolonga­tion de la mesure de cinq ans au plus à chaque fois.

Commentaire
Une personne anosognosique adhère mal à des mesures dont elle ne perçoit pas l’utilité. Cette attitude est inhérente à son handicap et ne devrait, par conséquent, jamais justifier son maintien en prison, car cela ne serait pas conforme à l’article 14 CDPH (Convention relative aux droits des personnes handicapées RS 0.109) selon lequel en aucun cas l’existence d’un handicap justifie une privation de liberté.

Référence
6B_319/2017 du 28 septembre 2017

 

La conversion d’une peine privative de liberté en internement nécessite des faits nouveaux

Jurisprudence | Droit pénal

La conversion d’une peine privative de liberté en internement nécessite des faits nouveaux

Résumé
Sieur A a été condamné à une peine de réclusion de 12 ans pour tentatives de meurtre et d’assassinat sur les personnes de sa femme et de sa fille. Alors que l’exécution de la peine doit prendre fin en juin 2019, le Ministère public (ci-après MP) demande, en juin 2018, une conversion de la peine privative de liberté en internement -d’une durée indéterminée- en se fondant sur l’article 65 alinéa 2 du code pénal qui permet cette conversion si des faits ou des moyens de preuve, survenus après le jugement, démontrent que le condamné remplit les conditions d’un internement et que ces conditions étaient déjà remplies au moment du jugement sans que le juge ait pu en avoir connaissance. La procédure applicable est celle de la révision pénale. Pour motiver sa requête, le MP s’appuie sur un diagnostic d’octobre 2016 qui démontrerait que la personnalité de Sieur A est plus gravement perturbée qu’on ne pouvait l’affirmer au moment du jugement.

Face au refus de la Cour de justice le MP s’adresse au Tribunal fédéral (ci-après TF) qui lui donne tort.

Le TF rappelle d’abord que la dangerosité n’est pas un fait mais une appréciation, que, dès lors, une nouvelle expertise ne peut conduire à une révision que si elle permet d’établir que les faits retenus par le premier jugement étaient faux ou imprécis ; à cela s’ajoute que les faits et moyens de preuve nouveaux doivent être sérieux, c’est-à-dire de nature à ébranler les constatations sur lesquelles se fonde la condamnation. En l’espèce, le MP voit un fait nouveau dans le diagnostic de personnalité paranoïaque avec accentuation de traits de personnalité narcissique posé en 2016. Or, le TF constate que ce diagnostic ne s’est que très légèrement écarté des précédents qui retenaient déjà un caractère soupçonneux et une tendance envahissante à déformer les événements en interprétant les actions impartiales ou amicales d’autrui comme hostiles ou méprisantes. D’autre part les difficultés de traitement et l’incapacité à évoluer de Sieur A étaient déjà connues au moment du jugement. La nouvelle expertise n’apportant aucun fait nouveau par rapport aux constatations et analyses de l’expert qui s’était prononcé au moment du jugement initial, il n’y a pas matière à révision en défaveur du condamné.

Commentaire
Cet arrêt nous rappelle que la dangerosité présumée n’est pas punissable : c’est salutaire à une époque où la tentation sécuritaire nous induit à confondre l’atteinte à l’ordre public avec l’état dangereux.

Références
6B_986/2018 du 22 novembre 2018

Droit à un défenseur d’office pour une personne souffrant d’un trouble bipolaire

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Droit à un défenseur d’office pour une personne souffrant d’un trouble bipolaire

Résumé
Le 28 avril 2019, Sieur A a été condamné par ordonnance pénale pour avoir, le 27 avril 2019, commis plusieurs infractions au code de la route, refusé d’obtempérer lors de son interpellation, cassé une vitre et tordu le cadre d’une portière de voiture de police, blessé et insulté des gendarmes, cassé le téléphone portable de l’un d’eux et refusé de se soumettre à une prise de sang. Le 6 mai 2019 il a fait opposition à cette ordonnance pénale et demandé que Maitre B soit désigné défenseur d’office. Sa demande a été rejetée in fine par la chambre pénale de recours (ci-après la chambre) au motif que l’assistance d’un défenseur n’était pas justifiée, la cause ne présentant pas de difficultés particulières juridiques ou factuelles. La chambre relevait que Sieur A n’avait eu qu’un seul épisode maniaque, qu’il n’avait jamais eu de contact avec la psychiatrie auparavant ni n’avait été hospitalisé en raison du diagnostic de trouble bipolaire.

Sieur A s’adresse au Tribunal fédéral (ci-après TF) qui lui donne raison, considérant que les conditions d’une défense obligatoire sont effectivement réunies ; il accorde l’assistance judiciaire et désigne Maître B en tant que défenseur d’office.

Le TF commence par rappeler que l’article 130 let. c CPP* prévoit une défense obligatoire lorsque le prévenu ne peut pas défendre ses intérêts en raison de son état psychique. Selon la jurisprudence, la capacité de procéder doit être examinée d’office dès qu’il existe des indices de limitation d’une telle capacité. Au vu du but de protection visé par le cas de défense obligatoire, la direction de la procédure doit désigner un défenseur d’office en cas de doute ou lorsqu’une expertise constate l’irresponsabilité. En revanche, le fait d’être sous curatelle ou de suivre une thérapie pour personnes dépendantes à l’alcool ou aux stupéfiants ne suffit pas à démontrer une incapacité psychique à procéder.

En l’espèce, un rapport d’intervention psychiatrique d’urgence du 29 avril 2019 établissait que l’épisode maniaque diagnostiqué durait depuis sept jours et que les faits qui avaient donné lieu à l’ordonnance pénale avaient été commis au cours de cet épisode. De plus, il ressortait du dossier dont disposait la chambre que Sieur A était retourné aux urgences le 2 mai 2019 en raison d’idées délirantes, qu’il y avait tenu un discours logorrhéique et avait développé des idées de grandeur et de persécution. Bien que Sieur A ne se soit pas prévalu de ces faits devant la chambre, ils ressortaient du dossier de sorte que celle-ci aurait dû en tenir compte d’office. De plus, la survenance d’un nouvel épisode maniaque lié au stress de la procédure pénale n’était pas exclue compte tenu de l’anamnèse et du diagnostic.

Pour démontrer que Sieur A avait la capacité de se défendre seul, les autorités cantonales se prévalaient du fait qu’il avait pu rédiger une opposition détaillée à l’ordonnance pénale, bien qu’il fût hospitalisé. Cet argument n’a pas porté dans la mesure où les écritures de Sieur A ne faisaient pas le lien entre son trouble et les actes qui lui étaient reprochés, ce qui plaidait en faveur de l’assistance d’un défenseur.

* Code de procédure pénale suisse RS 312.0

Commentaire
Saluons cette juste prise en compte du trouble bipolaire dans la capacité de se défendre au pénal et déplorons qu’il faille aller jusqu’au TF pour faire constater l’évidence.

Référence
1B_493/2019 du 20 décembre 2019

Défenseur d’office pour personne en conflit avec son curateur

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Défenseur d’office pour personne en conflit avec son curateur

Résumé
Sieur A, sous curatelle de portée générale, fait l’objet d’une procédure pénale pour diverses infractions à la loi sur les stupéfiants. Il dit se trouver dans une situation de fragilité et d’épuisement psychique. De plus, il est en psychothérapie en raison d’une maladie psychique chronique. L’assistance d’un avocat nommé d’office lui est néanmoins refusée au motif qu’il peut solliciter l’assistance de son curateur. Contre ce refus, Sieur A recourt au Tribunal fédéral (TF) qui lui donne raison.

Le droit à un défenseur d’office pour une personne qui ne peut pas défendre ses intérêts en raison de son état psychique est prévu par l’article 130  du code de procédure pénale (CPP). Encore faut-il que cette personne ne puisse pas être défendue par son représentant légal, en l’occurrence son curateur. Sieur A, qui prétend avoir été abusé par tous ses représentants légaux, respectivement l’Office du Tuteur général, doute fortement de la capacité de son curateur à défendre ses intérêts. Le TF constate que les rapports très conflictuels entretenus par Sieur A avec ses différents curateurs ressortent des pièces figurant au dossier. Compte tenu de ces circonstances, l’importance du possible conflit avec le curateur ne peut pas être ignorée, d’autant plus que les divergences d’opinion entre Sieur A et son curateur ne sont pas limités à la procédure pénale en cours. Dès lors, Sieur A se trouve dans une situation justifiant une défense obligatoire en vertu du CPP et un défenseur d’office doit lui être désigné, son curateur ne pouvant pas assumer ce rôle.

Commentaire
Combien de personnes souffrant de troubles psychiques se sentent trahies par un défenseur qui ne croit pas à leur cause ? Le Tribunal fédéral prête ici une oreille attentive à leur méfiance : il accorde du poids à la haute vraisemblance d’un conflit entre une personne concernée et son curateur.

Références:
1B_279/2014 du 3 novembre 2014 paru à la SJ 2015 I 17

Violation du secret médical par l’expert qui envoie son rapport à l’employeur

Jurisprudence | Droit pénal

Violation du secret médical par l’expert qui envoie son rapport à l’employeur

Résumé
Sieur A est en arrêt maladie depuis deux mois et demi quand son employeur le prie de se soumettre à l’examen d’un expert, le Dr B, spécialiste en psychiatrie. Le lendemain, ce dernier livre à l’employeur un rapport sur  la capacité de travail de Sieur A. Le Dr B est condamné à 60 jours-amendes pour violation du secret médical (art. 321 du code pénal ci-après CP). Il recourt au Tribunal fédéral (ci-après TF) qui le déboute. Selon le TF, l’article 321 CP s’applique à tout titulaire d’un diplôme de médecin, y compris l’expert. Le Dr B se prévaut alors du consentement éclairé de Sieur A à être non seulement examiné, mais à faire l’objet d’un rapport. Toutefois,  le TF considère que l’employé ne donne pas son consentement à la divulgation de ses données personnelles à son employeur en acceptant d’être examiné. En effet, l’article 328b du code des obligations (concernant le protection de la personnalité du travailleur lors du traitement de données personnelles) limite les données accessibles à l’employeur : seuls la  durée, le degré et la cause (maladie ou accident) de l’incapacité de travail peuvent être communiqués, le diagnostic n’ayant pas à être révélé. De plus, les lignes directrices de l’Académie suisse des sciences médicales ainsi que le Manuel de la Société Suisse des médecins-conseils et médecins d’assurances confirment expressément que le certificat d’incapacité de travail ne doit pas mentionner de diagnostic. Il en résulte que, en consentant à l’examen du Dr B, Sieur A ne l’a pas entièrement relevé du secret médical, mais ne l’a autorisé à transmettre que les renseignements usuels. La divulgation de tout élément qui va au-delà aurait dû être expressément autorisée par l’employé. La peine est confirmée.

Commentaire
Pourquoi est-ce à coup de jours-amendes qui faut rappeler, même aux médecins, que les données médicales ne sont pas en libre-service, qu’un employeur n’y a pas accès et qu’un expert est aussi soumis au secret médical ?

Références
6B_1199/2016 du 4 mai 2017 en allemand, publié aux ATF 143 IV 202