Prouver qu’on est victime lorsqu’il n’y a pas eu de procédure pénale

Jurisprudence | Loi sur l’aide aux victimes d’infractions

Prouver qu’on est victime lorsqu’il n’y a pas eu de procédure pénale

Résumé
En 2016 Dame A dépose une demande d’indemnisation et de réparation morale en raison d’abus sexuels commis à son encontre entre 1985 et 2010. Dame A indique qu’elle a été victime depuis l’âge de 4 ou 5 ans de divers attouchements et abus de la part de différentes personnes, notamment une proche de sa famille, son orthodontiste, son généraliste ainsi qu’un inconnu lors d’un voyage en train entre Bienne et Neuchâtel. Elle explique que ces faits lui ont causé de nombreuses difficultés physiques et psychiques et que la mémoire lui en est revenue progressivement au cours d’une thérapie. Le dossier contient des avis médicaux estimant que ses révélations sont crédibles et confirmant la présence de signes cliniques caractéristiques de stress post-traumatique chronique. La demande de Dame A est rejetée par l’autorité d’indemnisation LAVI. Le recours de Dame A contre cette décision est rejeté par le Tribunal cantonal au motif que les événements à l’origine de la demande n’ont pas fait l’objet d’une enquête pénale et que, en l’absence de tout autre élément, les rapports médicaux ne permettent pas de prouver la qualité de victime. Dame A s’adresse alors au Tribunal fédéral (ci-après TF) qui désavoue l’instance inférieure et lui renvoie la cause pour qu’elle prenne une nouvelle décision.

Le TF, qui n’avait jamais statué sur cette question, se demande à quel degré de preuve est soumis le statut de victime lorsqu’il n’y a pas eu de procédure pénale pour l’établir. Au terme d’une analyse détaillée de la doctrine il admet que, dans un tel cas, la preuve du statut de victime peut être établie au degré de la vraisemblance prépondérante. Sur cette base il reproche à l’instance précédente d’avoir ignoré, sans aucune forme de motivation, les moyens de preuve figurant au dossier : déclarations de Dame A qualifiées de crédibles et vraisemblables par les différents certificats médicaux ainsi que divers témoignages des proches. Dans une procédure soumise à la maxime inquisitoire l’instance précédente aurait dû rechercher des informations, par exemple en mettant en œuvre une expertise de crédibilité, ou à tout le moins motiver son refus de procéder à une instruction complémentaire.

Commentaire
Les personnes ayant subi des atteintes à l’intégrité sexuelle qu’elles n’ont pas dénoncées pénalement seront soulagées de savoir qu’elles peuvent quand même être reconnues comme victimes d’infraction ; elles seront intéressées de savoir que le degré de preuve exigé est le même que dans le domaine des assurances sociales et du droit civil.

Références
1C_705/2017 du 26 novembre 2018 publié aux ATF 144 II 406

 

Causalité adéquate entre une agression physique et l’atteinte psychique qui en résulte chez une personne qui a subi des événements traumatiques auparavant

Jurisprudence | LAVI

Causalité adéquate entre une agression physique et l’atteinte psychique qui en résulte chez une personne qui a subi des événements traumatiques auparavant

Résumé
Le 24 décembre 2013 Dame A, 48 ans, est agressée par Sieur B sur son lieu de travail. Son incapacité de travail est prise en charge par l’assurance accident jusqu’au 31 juillet 2014. Dès le 1er janvier 2015 Dame A est mise au bénéfice d’une rente entière de l’assurance invalidité. En mai 2014, une procédure pénale dirigée contre Sieur B est classée dès lors que ce dernier, atteint d’une grave maladie psychique, était en état d’irresponsabilité au moment où il a giflé Dame A et l’a rouée de coups. Début 2017 Dame A réclame à Sieur B un montant de 100’000 fr. pour perte de revenu, atteinte à son avenir économique et troubles psychiques ayant conduit à une incapacité de travail. Cette procédure civile aboutit, le 16 octobre 2017, à une proposition du curateur de Sieur B de verser 5’000 fr. pour solde de tout compte. Le 17 juillet 2018, Dame A  adresse au département compétent de son canton (ci-après le département) une demande d’indemnisation et de réparation morale sur la base de la loi sur l’aide aux victimes d’infractions (ci-après LAVI, RS 312.5). Sa demande est rejetée au motif que les préjudices allégués ne seraient pas en relation de causalité adéquate avec l’agression du 24 décembre 2013, mais seraient une résurgence de traumatismes bien antérieurs à cette date. En effet entre 6 et 18 ans Dame A a vécu plusieurs événements traumatiques : abus sexuel, perte de sa mère dans un accident de voiture, mariage arrangé, tentative de meurtre de la part de son mari et enlèvement de son enfant par sa belle-famille. Dame A s’adresse alors au Tribunal fédéral (ci-après TF) qui lui donne partiellement raison et renvoie l’affaire au département pour complément d’instruction.

Le TF désavoue l’instance cantonale qui n’aurait pas dû examiner la causalité adéquate comme en droit des assurances sociales mais comme en droit de la responsabilité civile. En assurances sociales un événement sans gravité objective ne peut pas être la cause d’un dommage, ce qui n’est pas le cas en droit de la responsabilité civile. Au surplus, la prestation versée par une assurance sociale est la contrepartie d’une cotisation et peut être refusée si le traumatisme existait avant l’accident. Le but de la LAVI, en revanche, est d’offrir aux victimes une protection complémentaire à celle des assurances sociales ; de ce fait, l’existence de traumatismes préexistants ne justifie qu’une réduction de l’indemnité LAVI.

En l’espèce, il n’y a pas d’évidence que les traumatismes antérieurs à l’attaque, qui remontent pour les plus récents au début des années 90, soient la cause la plus immédiate du dommage de Dame A puisqu’ils ne l’ont pas empêchée de travailler et de mener une vie épanouie avec son mari jusqu’au 24 décembre 2013. Ces traumatismes préexistants sont toutefois susceptibles de justifier une réduction de l’indemnité en vertu de l’art. 27 al. 1 LAVI.

Il appartiendra donc au département d’établir en quoi consiste le préjudice de Dame A qui n’aurait pas été couvert par les prestations déjà obtenues, de déterminer si ce préjudice est en relation de causalité adéquate avec l’agression et de fixer le montant de l’indemnité.

Commentaire
Que la causalité adéquate entre un événement et ses suites ne soit pas la même dans les divers domaines du droit ne facilite pas la vie des victimes et occupe leurs avocat·es !  Toutefois cette dramatique histoire a le mérite de rappeler clairement que c’est le droit de la responsabilité civile, plus favorable aux victimes que celui des assurances sociales, qui est applicable à la LAVI depuis le 1er janvier 2009.

Références
1C_152/2020 du 8 septembre 2020