Allocation pour impotent : il faut d’abord statuer sur le droit à la rente

Jurisprudence | Assurance invalidité

Allocation pour impotent : il faut d’abord statuer sur le droit à la rente

Résumé
Entre 2002 et 2018 Sieur A a déposé six demandes à l’AI, toutes rejetées, la dernière par une décision de non-entrée en matière rendue le 10 juillet 2019. L’Office AI (ci-après OAI) diligente néanmoins une enquête suite à une demande d’allocation pour impotent déposée par Sieur A en juin 2019. Puis, le 23 juin 2020, ce dernier annonce une aggravation de son état de santé et indique qu’il transmettra des rapports médicaux. Ceux-ci sont expédiés par son médecin traitant et psychiatre, le Dr. B, en novembre 2020. Mais en janvier 2021 l’OAI rejette la demande d’allocation pour impotent. Considérant que ce rejet ne pouvait pas intervenir avant qu’il soit statué sur la demande de rente du 23 juin 2020, Sieur A réclame la suspension de la procédure concernant l’allocation pour impotent jusqu’à droit jugé sur la demande de rente*. Comme la juridiction cantonale refuse d’accorder la suspension, Sieur A s’adresse au Tribunal fédéral (ci-après TF) qui lui donne raison.

La juridiction cantonale estimait que la requête de suspension n’était pas justifiée parce que Sieur A n’aurait pas donné suite à son annonce du 23 juin alors que, compte tenu du fait qu’il en était à sa septième demande de prestation, il ne pouvait pas ignorer que l’OAI avait besoin de renseignements médicaux nouveaux pour entrer en matière. Le TF qualifie ces arguments d’arbitraires puisqu’un rapport médical avait été adressé en novembre 2020 à l’OAI par le Dr B et que l’OAI avait mentionné le 26 avril 2021 l’avoir reçu indiquant au surplus que la demande serait transmise au service des rentes. Dès lors, l’instruction sur la demande de rente du 23 juin 2020 était en cours au moment où la demande d’allocation pour impotent avait été rejetée, en janvier 2021, pour ce seul motif que Sieur A n’aurait pas droit à une rente sur la base de la décision de non-entrée en matière du 10 juillet 2019. Selon le TF la question du droit à l’allocation pour impotent ne pouvait pas être tranchée sans connaître l’issue de la demande de rente du 23 juin 2020. Le TF invite donc la juridiction cantonale à suspendre la procédure jusqu’à droit connu sur la demande de rente du 23 juin 2020, puis à rendre une nouvelle décision sur le droit à l’allocation d’impotent.

* Selon l’article 42 alinéa 3 LAI une personne souffrant uniquement d’une atteinte à la santé psychique ne peut être considérée comme impotente que si elle a droit à une rente.

Commentaire
L’OAI n’a pas à porter atteinte aux droits d’un·e assuré·e parce qu’il est exaspéré de le·la voir sonner à la porte chaque fois qu’une aggravation de son état de santé pourrait lui ouvrir le droit à une prestation pour laquelle il·elle a cotisé : l’assuré·e n’est pas un·e enquiquineur·euse mais un·e ayant-droit.

Référence
9C_640/2021  du 15 juin 2022

Prise en charge par l’AI d’une formation initiale en école privée

Jurisprudence | Assurance invalidité

Prise en charge par l’AI d’une formation initiale en école privée

 

Résumé

A l’âge de 15 ans Sieur A a demandé des mesures professionnelles à l’assurance invalidité parce qu’il souffrait d’un syndrome d’Asperger et d’un trouble du spectre autistique occasionnant une anxiété massive, des difficultés de régulation des émotions et des problèmes comportementaux ayant généré une phobie scolaire. Sieur A était également une personne à haut potentiel avec un QI élevé, ce qui ne constitue pas une atteinte à la santé.  Il voulait effectuer un parcours gymnasial à l’école privée B de façon à obtenir un baccalauréat lui permettant d’intégrer l’EPFL. L’office AI a rejeté sa demande au motif que le choix de l’école B, spécialement conçue pour les enfants à haut potentiel, n’était pas strictement conditionné par l’invalidité.

Sieur A a recouru au Tribunal fédéral (ci-après TF) en faisant valoir que la cour cantonale n’avait pas tenu compte du fait que ses problèmes d’anxiété ne lui avaient pas permis de poursuivre son cursus à l’école publique. Le TF lui a donné partiellement raison et a renvoyé la cause pour nouvelle décision.

Le TF s’est fondé sur l’avis de la Doctoresse C selon laquelle le passage à l’école privée avait été nécessité par une phobie scolaire à l’école publique en dépit de très bons résultats. Elle attestait que Sieur A n’était pas en mesure de suivre le gymnase public en raison d’hypersensibilités en lien avec le trouble du spectre autistique, qu’il avait besoin d’aménagements spécifiques en raison de ce trouble et que la poursuite de sa scolarité dépendait d’un environnement adapté. Reprochant à la cour cantonale d’avoir ignoré que le choix de l’école B était dû à l’atteinte à la santé, le TF lui renvoie la cause afin qu’elle détermine si les autres conditions du droit aux mesures professionnelles étaient réalisées.

 

Commentaire
A chacune de ses mutations l’AI affirme avoir à cœur d’investir dans les jeunes pour qu’ils ne dépendent pas d’elle une fois adultes. Elle économise pourtant sur la formation quand il s’agit de mettre en œuvre cette généreuse intention. A se demander si elle n’ambitionne pas plutôt de former au rabais un bataillon de personnes disponibles pour les emplois précaires dont se gave notre économie ?

 

Référence
9C_393/2021  du 24 mai 2022

La loi et le règlement ne sont pas des titres de mainlevée pour les émoluments et frais de sommation postérieurs à une amende

Jurisprudence | Droit des poursuites


La loi et le règlement ne sont pas des titres de mainlevée pour les émoluments et frais de sommation postérieurs à une amende

Résumé
Sieur A est condamné par le Ministère public du canton de Neuchâtel à une amende de 100 CHF ainsi qu’au paiement des frais de justice à hauteur de 100 CHF. Comme il ne paie pas il reçoit une sommation de payer 100 CHF d’amende, 100 CHF de frais judiciaires et 30 CHF de frais de sommation. Il ne paie toujours pas et reçoit un commandement de payer portant sur 200 CHF d’amende et frais judiciaires auxquels s’ajoutent 62 CHF de frais de sommation et émoluments de recouvrement. Sieur A fait opposition totale. Le Tribunal prononce la mainlevée définitive de l’opposition à hauteur de 262 CHF pour l’amende, les frais judiciaires et les frais de sommation. Sieur A recourt mais il retire son opposition à raison de 200 CHF, de sorte que la mainlevée définitive est prononcée par l’autorité de recours à hauteur de 32 CHF. Estimant que ces 32 CHF correspondent à des émoluments de recouvrement qui n’ont pas fait l’objet d’une décision exécutoire Sieur A s’adresse au Tribunal fédéral (ci-après TF) qui lui donne raison.

Bien que la valeur litigieuse soit dérisoire, le TF entre en matière pour résoudre une question juridique de principe. Il s’agit de savoir si la mainlevée définitive doit être accordée à l’État pour des émoluments (tels que frais de sommation avant poursuite ou d’introduction de la poursuite) qui sont prévus par une loi ou un règlement mais qui n’ont pas fait l’objet d’une décision et résultent d’actes de l’administration postérieurs à l’amende qui vaut titre de mainlevée.

Rappelant que la procédure mainlevée d’une opposition n’a pas pour but de constater la réalité d’une créance mais seulement l’existence d’un titre exécutoire, le TF se demande si une loi peut remplacer un tel titre. Il constate que certaines jurisprudences cantonales admettent qu’une loi ou un règlement remplacent le titre de mainlevée définitive pour des frais de sommation et d’introduction de la poursuite et que la doctrine est partagée. Le TF tranche en ce sens qu’une loi ou un règlement ne remplacent pas un titre de mainlevée : soit les services de recouvrement de l’État rendent une décision indépendante pour les émoluments, soit l’autorité qui rend la décision initiale (en l’espèce, l’amende) prévoit déjà dans son dispositif le paiement d’éventuels frais supplémentaires déterminés et chiffrés dus de manière conditionnelle en cas d’inexécution. Dès lors, la mainlevée pour le montant de 32 CHF a été accordée en violation de ces principes.

Commentaire
Cette personne a saisi le Tribunal fédéral pour 32 CHF mais pas pour des prunes, puisque désormais les émoluments et les frais de sommation postérieurs à la poursuite devront faire l’objet d’une décision valant titre de mainlevée.

Référence
5A_825/2021 du 31 mars 2022 destiné à publication

Récusation d’un expert partageant son cabinet avec le médecin-conseil de l’assurance qui le mandate

Jurisprudence | Loi sur la partie générale des assurances sociales

 

Récusation d’un expert partageant son cabinet avec le médecin-conseil de l’assurance qui le mandate

 

Résumé

Le cas de Sieur A, victime d’un accident, est soumis au médecin-conseil de l’assurance Helsana, le Dr B, qui juge la fracture guérie, le reste étant dégénératif. Cela justifie de de cesser la prise en charge mais Sieur A s’oppose à cette décision. C’est ainsi qu’en août 2019 Helsana l’informe qu’une expertise sera mise en œuvre auprès du Dr C. Cet expert, proposé par le Dr B, estime que la cause des douleurs n’est plus l’accident mais un état pathologique antérieur à celui-ci. Sur cette base Helsana confirme, par décision du 14 juillet 2020, qu’elle cesse la prise en charge. Le 24 juillet 2020 le nouvel avocat de Sieur A fait valoir que l’expert C n’était ni impartial ni indépendant, car il partageait son cabinet médical avec le Dr B ; l’avocat demande l’annulation de la décision du 14 juillet 2020 ; il requiert également la production par Helsana d’une liste anonymisée de toutes les expertises confiées au Dr C depuis 2010. Helsana refuse et le Dr B d’expliquer qu’il ne fait que partager les locaux et les frais avec le Dr C sans être une Sàrl ou une SA, de sorte que leurs revenus sont indépendants. L’instruction révèlera que, sur une période de 12 ans, le Dr C a rendu 169 rapports d’expertise sur proposition du Dr B et encaissé un montant total d’honoraires de 562’920 fr 90.

L’affaire est soumise au Tribunal fédéral (ci-après TF) qui considère que Sieur A avait bien un motif de récusation de l’expert C et qu’on ne pouvait pas lui reprocher de l’avoir invoqué tardivement.

Selon l’article 44 LPGA la communication du nom de l’expert doit permettre à l’assuré de reconnaître s’il s’agit d’une personne à l’encontre de laquelle il existerait un motif de récusation, c’est-à-dire des circonstances propres à faire naître un doute sur son impartialité. En l’espèce, le fait que les Drs B et C exploitent ensemble un cabinet de groupe et que le premier propose de confier l’expertise au second était de nature à créer objectivement l’apparence d’une prévention. En effet, un petit cabinet de groupe implique une présence régulière dans les locaux de nature à favoriser des liens plus étroits que ceux qui peuvent exister entre des spécialistes qui se croisent à l’occasion hors de leur lieu de travail. Des contacts quotidiens, doublés d’une communauté d’intérêts économiques à travers le partage des frais, constituent des éléments objectifs suffisants à faire naître l’apparence d’une prévention lorsqu’un des associés est désigné comme expert par un assureur qui emploie l’autre comme médecin-conseil.

Quant au temps pris par l’assuré et son avocat pour faire valoir le motif de récusation (11 mois), le TF relève que le rapprochement entre les Drs B et C n’avait été fait que fortuitement par le nouvel avocat de Sieur A. Dès lors qu’il n’existe pas d’obligation générale d’effectuer des recherches, on ne pouvait pas faire grief à l’avocate précédente de n’avoir pas découvert les liens existants entre le médecin-conseil B et l’expert C. On ne pouvait pas davantage blâmer Sieur A de n’avoir pas eu le nom du Dr B à l’esprit lorsqu’il s’était rendu au cabinet du Dr C pour l’expertise, même s’il avait pu avoir connaissance de ce nom plus d’une année auparavant à la lecture de certaines correspondances. La demande de récusation n’était donc pas tardive.

Le rapport du Dr C est écarté et Helsana requise de mettre en œuvre une nouvelle expertise.

Commentaire
Le résultat est appréciable mais on aimerait pouvoir faire confiance aux assureurs et aux médecins pour éviter volontairement des liens aussi incestueux que lucratifs plutôt que de compter sur le hasard pour les connaître. Rêvons d’un monde où médecins et assureurs ne seraient pas d’abord mus par l’appât du gain…

Référence
8C_514/2021 du 27 avril 2022, destiné à publication

Conditions du droit aux prestations complémentaires en cas de refus de rente AI 

Jurisprudence | Prestations complémentaires

Conditions du droit aux prestations complémentaires en cas de refus de rente AI 

 

Résumé
Dame A est arrivée en Suisse en 2008 et n’a pas exercé d’activité professionnelle. En 2016, elle dépose une demande AI. La rente lui est refusée au motif que les empêchements rencontrés dans la tenue du ménage sont inférieurs à 40 %*. Dame A recourt à la Cour de justice (ci-après CJ) qui constate qu’elle n’a pas droit à une rente du fait qu’elle n’a pas cotisé pendant trois ans avant la survenance de l’invalidité (art. 36 LAI). Estimant cependant que le taux d’invalidité revêt une importance pratique sous l’angle d’un éventuel droit aux prestations complémentaires (art. 4 al. 1 let. d LPC**), la CJ demande à l’office AI (ci-après OAI) d’appliquer la méthode mixte pour déterminer le taux d’invalidité de Dame A. L’OAI s’adresse au Tribunal fédéral (ci-après TF) qui le dispense de ce calcul.

Le TF indique que Dame A n’a pas besoin de faire constater son degré d’invalidité pour pouvoir déposer une demande de prestations complémentaires (ci-après PC). En effet, les questions préliminaires telles que le statut de l’assuré·e et le revenu hypothétique à prendre en considération peuvent être librement tranchées par le Service des prestations complémentaires (ci-après SPC). L’examen des conditions matérielles du droit aux PC ne dépend donc pas d’une décision de refus préalable de l’AI. Le TF fait toutefois remarquer que l’OAI n’aurait pas dû nier le droit à la rente en raison du degré d’invalidité mais uniquement parce que la condition de la durée minimale de cotisation de trois ans n’était pas remplie. Le TF confirme le refus de rente, mais par substitution de motifs, et indique clairement que le statut de ménagère sans activité ainsi que le degré d’invalidité fixé à 38,7% ne lient pas le SPC.

* Le droit à une rente n’est ouvert qu’à partir d’un taux d’invalidité de 40%.

**Art. 4 Conditions générales

1 Les personnes qui ont leur domicile et leur résidence habituelle (art. 13 LPGA) en Suisse ont droit à des prestations complémentaires dès lors qu’elles :

(…)

d.
auraient droit à une rente de l’AI si elles justifiaient de la durée de cotisation minimale requise à l’art. 36, al. 1, de la loi du 19 juin 1959 sur l’assurance-invalidité.

 

Commentaire
Quand on a expérimenté la parcimonie avec laquelle l’assurance invalidité accorde des rentes on est soulagé que le TF lui dise de ne pas se prononcer sur le droit aux prestations complémentaires. Oui, mais quand on a expérimenté la parcimonie avec laquelle les prestations complémentaires calculent les prestations…on attend et on espère.

Référence :
9C_126/2021 du 29 mars 2022

Droit d’être entendu : 10 jours au moins pour se prononcer sur une écriture de l’office AI dans le cadre d’un recours

Jurisprudence | Assurance invalidité

Droit d’être entendu : 10 jours au moins pour se prononcer sur une écriture de l’office AI dans le cadre d’un recours

Résumé
Dame A, assistée de Maître B, recourt au Tribunal cantonal contre deux décisions de l’office AI (ci-après OAI). Le 3 mai 2021 le Tribunal cantonal notifie pour information à Dame A deux courriers de détermination et une copie du rapport du SMR (service médical régional) déposés par l’OAI. Ce courrier est reçu par Me B le 6 mai. Le 10 mai le Tribunal cantonal rend un jugement rejetant les deux recours de Dame A.  Celle-ci s’adresse au Tribunal fédéral (ci-après TF) pour violation de son droit d’être entendue et obtient gain de cause.

Le TF rappelle que le droit d’être entendu, garanti par les articles 29 Cst. et 6 CEDH, comprend celui de prendre connaissance de toute argumentation présentée au tribunal à son propos et de se déterminer. De jurisprudence constante l’autorité judicaire doit laisser un laps de temps suffisant entre la remise des documents et le prononcé de sa décision.  En règle générale, un délai inférieur à 10 jours ne suffit pas tandis qu’un délai supérieur à 20 jours permet, en l’absence de réaction, d’inférer que la partie a renoncé au droit de répliquer. En l’espèce, le courrier notifié le 3 mai a été reçu le 6 mai et l’arrêt rendu le 10 mai de sorte que Dame A n’a pas bénéficié du délai usuel de 10 jours pour faire valoir son droit d’être entendue.

Le droit d’être entendu étant de nature formelle sa violation entraîne la nullité de la décision attaquée indépendamment des chances de succès d’un recours au fond. La décision du tribunal cantonal vaudois est annulée.

Commentaire
Il faut s’inquiéter de la violation des droits de procédure car ils ont pour mission d’assurer que le recours à la justice ne soit pas une simple formalité sourde au justiciable.

Référence
9C_345/2021 du 11 août 2021