Doit d’être entendu·e : les modalités d’accès au dossier AI doivent être énoncées clairement par le tribunal

Jurisprudence | Assurance invalidité

Doit d’être entendu·e : les modalités d’accès au dossier AI doivent être énoncées clairement par le tribunal

Résumé
Suite à un accident, Dame A bénéficie d’une mesure de réinsertion de l’assurance-invalidité ainsi que d’une indemnité journalière (ci-après IJ). Dame A conteste le montant de l’IJ fixé par décision de l’Office AI (ci-après OAI) : elle en réclame l’augmentation. Cependant, l’OAI rend une nouvelle décision portant sur une nouvelle IJ en lien, cette fois, avec une mesure de réentrainement au travail qui fait l’objet d’une procédure distincte.  Dans le cadre de sa contestation du montant de l’IJ, Dame A souhaite consulter son dossier, mais l’OAI indique au juge cantonal saisi de l’affaire que le dossier se trouve dans une cause parallèle. Le juge cantonal ordonne alors « l’édition du dossier relatif à la procédure entre les parties » et impartit à Dame A un délai pour se déterminer sur la réponse de l’OAI à sa contestation du montant de l’IJ. Dans le respect de ce délai, Dame A indique au juge ne pas savoir s’il existe un ou deux dossiers distincts puisqu’il y a deux procédures et demande qu’on lui transmette une copie du ou des CD-ROM contenant son dossier. Puis, plus rien ne se passe jusqu’au jugement qui, 14 mois plus tard, considère que le droit de consulter le dossier ne comprend pas celui d’en recevoir une copie et que Dame A n’avait qu’à venir le lire sur place. Estimant que le fait de n’avoir jamais reçu le dossier constitue une violation de son droit d’être entendue, Dame A s’adresse au Tribunal fédéral (ci-après TF) qui lui donne raison.

Selon le TF, le juge cantonal aurait dû inviter formellement Dame A à venir consulter son dossier sur place et l’informer de cette possibilité en termes suffisamment explicites. En demandant s’il y avait deux procédures distinctes et en réitérant sa demande d’accès au dossier Dame A, qui n’était pas représentée par avocat·e, a démontré qu’elle n’avait pas compris que l’OAI n’avait établi qu’un seul dossier bien qu’il y eut deux procédures. Dans ces circonstances, on ne pouvait pas attendre d’elle qu’elle réagisse au silence du juge en réitérant une troisième fois sa demande.

La cause est ainsi renvoyée au juge cantonal pour qu’il statue à nouveau après avoir permis à Dame A de consulter son dossier et d’exercer son droit d’être entendue.

Commentaire
Il est rare que la sécheresse précise du langage juridique ne soit pas retenue contre l’administré·e. Saluons ainsi la demande faite aux tribunaux de s’exprimer d’une façon compréhensible dans leurs relations avec les justiciables.

Référence
9C_215/2022 du 5 janvier 2023

 

Limitons les placements à des fins d’assistance au strict nécessaire

Prise de position sur les placements à des fins d’assistance (PAFA)

La prise de position de Pro Mente Sana sur la pratique actuelle en matière de placements à des fins d’assistance (PAFA) en Suisse présente le contexte dans lequel s’inscrivent les PAFA et constitue la base de nos cinq revendications visant à améliorer la qualité de la pratique actuelle dans ce domaine et à réduire considérablement le nombre de ces placements.

Le contenu de la prise de position se concentre, d’une part, sur le moment où la décision de PAFA est ordonnée et, d’autre part, sur l’admission dans l’institution psychiatrique. Les aspects relatifs au traitement appliqué et à la prise en charge psychiatrique adoptée dans l’institution une fois la mesure de PAFA ordonnée ne sont pas abordés. La prise de position s’adresse aux professionnel·les impliqué·es dans le cadre de l’exécution des mesures de PAFA mais aussi aux personnes concernées, aux personnes intéressées et aux responsables politiques.

Avec l’entrée en vigueur du nouveau droit de la protection de l’adulte (DPA), en 2013, la mesure de « privation de liberté à des fins d’assistance (PLAFA) », applicable jusqu’alors, a été remplacée par celle du « placement à des fins d’assistance (PAFA) ». Pro Mente Sana estime toutefois que la réduction du nombre de placements en institution que ce changement devait entraîner, d’après les pronostics à l’époque de l’introduction du nouveau droit, ne s’est à ce jour pas confirmée. Au contraire, d’après les chiffres disponibles (14 500 placements en 2019), il apparaît clairement que les mesures de PAFA sont de manière générale beaucoup trop fréquents. Les nombreux témoignages de personnes concernées décrivant le déroulement de mesures de PAFA dont elles ont fait l’objet comme traumatisant renforcent encore davantage Pro Mente Sana dans sa volonté de s’adresser aux autorités compétentes, aux politiques et au public dans le cadre de cette prise de position afin de formuler les cinq exigences décrites ci-après.

Selon le discours officiel, il n’est pas possible d’expliquer complètement les différences cantonales très marquées en ce que qui concerne les taux de PAFA à l’échelle nationale (allant de 0,42 admissions pour 1000 habitant·es dans le canton d’Appenzell Rhodes-Intérieures à 2,34 dans celui de Schaffhouse, avec une moyenne nationale de 1,7). En revanche, il est évident que le risque d’être exposé·e à une mesure de contrainte privative de liberté n’augmente ou ne diminue pas en fonction de caractéristiques liées aux patient·es mais plutôt en fonction des caractéristiques régionales du cadre de prise en charge (existence ou non d’offres intermédiaires et ambulatoires et d’équipes de soins, par ex.), du nombre et de la qualification des personnes habilitées à ordonner des mesures de contrainte ainsi que de leur attitude face aux mesures de contrainte.

Nos revendications visent également à ce que les mesures de PAFA ordonnées de manière justifiée et conforme au sens de la loi soient mises en oeuvre « à des fins d’assistance ». En d’autres termes, cela signifie éviter les grands déploiements de police, avec menottage et gyrophares, et privilégier la prise en charge de manière calme, compréhensive et discrète ayant pour objectif l’assistance et l’offre d’un soutien et d’une thérapie appropriés, comparables à l’assistance qu’une compagnie aérienne devrait offrir en cas d’annulation d’un vol réservé.

Cliquez ici pour télécharger la prise de position en entier.

230329 - Prise de position PAFA

La fin du modèle de délégation en psychothérapie signe l’abandon des personnes en détresse psychique à leur sort.

La fin abrupte du modèle de délégation en psychothérapie au 1er janvier de cette année laisse sans soins psychiques de nombreuses personnes souffrantes, particulièrement lorsqu’elles n’ont pas les moyens de rémunérer leurs psychothérapeutes de leurs deniers.

Depuis l’été 2022, notre association reçoit de nombreux témoignages et appels à l’aide de personnes contraintes d’arrêter leur suivi thérapeutique à cause de la nouvelle réglementation de la psychothérapie pratiquée par des psychologues entrée définitivement en vigueur au 1er janvier 2023. En effet, avec ce changement de législation nous sommes passé·e·s d’un modèle de délégation à une modèle de prescription. Ce changement visait initialement à faciliter le remboursement des prestations des psychologues-psychothérapeutes indépendant·e·s par l’assurance maladie obligatoire de soins (LAMal) sur la base d’une prescription préalable, et nous l’avons soutenu. Malheureusement, sa mise en œuvre, insensible à la limite de l’irresponsabilité, porte gravement atteinte à la santé de nombreux patient·e·s qui se retrouvent sans psychothérapeutes, lesquel·les pointent désormais au chômage alors même que leurs agendas étaient pleins.

Il est regrettable qu’un changement législatif ait lieu de manière si brutale, de sorte à enlever la possibilité aux personnes de continuer leur traitement, et sans que la moindre solution alternative leur soit proposée. N’aurait-il pas été plus conforme à un authentique souci de santé publique que les faîtières des psychologues et l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) se mettent d’accord sur des solutions de droit transitoire ? Rappelons à cet égard que l’État doit pourvoir à ce que toute personne bénéficie des soins nécessaires à sa santé selon l’article 41 let. b de la Constitution fédérale. Il aurait, donc bien pu être possible, par exemple, de libérer les psychologues au bénéfice d’une longue expérience de l’obligation de suivre la formation de psychothérapeute désormais exigible. Était-il inimaginable d’accorder aux psychologues un délai raisonnable pour se mettre en conformité avec les nouvelles exigences ? L’abandon des patients·es à leurs seules ressources n’est explicable par aucun intérêt public digne de protection, car les psychologues-psychothérapeutes qui ont œuvré à satisfaction sous délégation jusqu’au 31 décembre 2022 ne peuvent pas être considérés comme des dangers à écarter sans délai.

Mais ce changement de loi met également en avant les enjeux financiers autour l’obligation de suivre des formations privées très onéreuses, dispensées par les faîtières des psychothérapeutes psychologues et auxquelles nul·le ne peut faire valoir un droit (art. 7 al.4 de la loi sur les professions de la psychologie). La formation dure de 4 à 5 ans ; elle nécessite d’être engagé·e par un cabinet indépendant ou une institution afin d’avoir une expérience pratique d’une année à plein temps dans une institution accueillant des malades relevant d’une pathologie psychique. Or, non seulement le coût élevé de la formation, mais aussi le nombre insuffisant de places pour les psychothérapeutes en formation, en particulier pour l’année en pratique, sont à l’origine de la situation douloureuse dans laquelle se retrouvent des personnes déjà fragiles.

En tant qu’association qui se voue à la défense des droits et intérêts des personnes concernées par les difficultés psychiques, nous demandons que l’OFSP et les faîtières de psychothérapeutes se mettent d’accord afin que les personnes ayant besoin d’un suivi de psychothérapie puisse continuer à le faire avec leur thérapeute.

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Allocation pour impotent : il faut d’abord statuer sur le droit à la rente

Jurisprudence | Assurance invalidité

Allocation pour impotent : il faut d’abord statuer sur le droit à la rente

Résumé
Entre 2002 et 2018 Sieur A a déposé six demandes à l’AI, toutes rejetées, la dernière par une décision de non-entrée en matière rendue le 10 juillet 2019. L’Office AI (ci-après OAI) diligente néanmoins une enquête suite à une demande d’allocation pour impotent déposée par Sieur A en juin 2019. Puis, le 23 juin 2020, ce dernier annonce une aggravation de son état de santé et indique qu’il transmettra des rapports médicaux. Ceux-ci sont expédiés par son médecin traitant et psychiatre, le Dr. B, en novembre 2020. Mais en janvier 2021 l’OAI rejette la demande d’allocation pour impotent. Considérant que ce rejet ne pouvait pas intervenir avant qu’il soit statué sur la demande de rente du 23 juin 2020, Sieur A réclame la suspension de la procédure concernant l’allocation pour impotent jusqu’à droit jugé sur la demande de rente*. Comme la juridiction cantonale refuse d’accorder la suspension, Sieur A s’adresse au Tribunal fédéral (ci-après TF) qui lui donne raison.

La juridiction cantonale estimait que la requête de suspension n’était pas justifiée parce que Sieur A n’aurait pas donné suite à son annonce du 23 juin alors que, compte tenu du fait qu’il en était à sa septième demande de prestation, il ne pouvait pas ignorer que l’OAI avait besoin de renseignements médicaux nouveaux pour entrer en matière. Le TF qualifie ces arguments d’arbitraires puisqu’un rapport médical avait été adressé en novembre 2020 à l’OAI par le Dr B et que l’OAI avait mentionné le 26 avril 2021 l’avoir reçu indiquant au surplus que la demande serait transmise au service des rentes. Dès lors, l’instruction sur la demande de rente du 23 juin 2020 était en cours au moment où la demande d’allocation pour impotent avait été rejetée, en janvier 2021, pour ce seul motif que Sieur A n’aurait pas droit à une rente sur la base de la décision de non-entrée en matière du 10 juillet 2019. Selon le TF la question du droit à l’allocation pour impotent ne pouvait pas être tranchée sans connaître l’issue de la demande de rente du 23 juin 2020. Le TF invite donc la juridiction cantonale à suspendre la procédure jusqu’à droit connu sur la demande de rente du 23 juin 2020, puis à rendre une nouvelle décision sur le droit à l’allocation d’impotent.

* Selon l’article 42 alinéa 3 LAI une personne souffrant uniquement d’une atteinte à la santé psychique ne peut être considérée comme impotente que si elle a droit à une rente.

Commentaire
L’OAI n’a pas à porter atteinte aux droits d’un·e assuré·e parce qu’il est exaspéré de le·la voir sonner à la porte chaque fois qu’une aggravation de son état de santé pourrait lui ouvrir le droit à une prestation pour laquelle il·elle a cotisé : l’assuré·e n’est pas un·e enquiquineur·euse mais un·e ayant-droit.

Référence
9C_640/2021  du 15 juin 2022

Prise en charge par l’AI d’une formation initiale en école privée

Jurisprudence | Assurance invalidité

Prise en charge par l’AI d’une formation initiale en école privée

 

Résumé

A l’âge de 15 ans Sieur A a demandé des mesures professionnelles à l’assurance invalidité parce qu’il souffrait d’un syndrome d’Asperger et d’un trouble du spectre autistique occasionnant une anxiété massive, des difficultés de régulation des émotions et des problèmes comportementaux ayant généré une phobie scolaire. Sieur A était également une personne à haut potentiel avec un QI élevé, ce qui ne constitue pas une atteinte à la santé.  Il voulait effectuer un parcours gymnasial à l’école privée B de façon à obtenir un baccalauréat lui permettant d’intégrer l’EPFL. L’office AI a rejeté sa demande au motif que le choix de l’école B, spécialement conçue pour les enfants à haut potentiel, n’était pas strictement conditionné par l’invalidité.

Sieur A a recouru au Tribunal fédéral (ci-après TF) en faisant valoir que la cour cantonale n’avait pas tenu compte du fait que ses problèmes d’anxiété ne lui avaient pas permis de poursuivre son cursus à l’école publique. Le TF lui a donné partiellement raison et a renvoyé la cause pour nouvelle décision.

Le TF s’est fondé sur l’avis de la Doctoresse C selon laquelle le passage à l’école privée avait été nécessité par une phobie scolaire à l’école publique en dépit de très bons résultats. Elle attestait que Sieur A n’était pas en mesure de suivre le gymnase public en raison d’hypersensibilités en lien avec le trouble du spectre autistique, qu’il avait besoin d’aménagements spécifiques en raison de ce trouble et que la poursuite de sa scolarité dépendait d’un environnement adapté. Reprochant à la cour cantonale d’avoir ignoré que le choix de l’école B était dû à l’atteinte à la santé, le TF lui renvoie la cause afin qu’elle détermine si les autres conditions du droit aux mesures professionnelles étaient réalisées.

 

Commentaire
A chacune de ses mutations l’AI affirme avoir à cœur d’investir dans les jeunes pour qu’ils ne dépendent pas d’elle une fois adultes. Elle économise pourtant sur la formation quand il s’agit de mettre en œuvre cette généreuse intention. A se demander si elle n’ambitionne pas plutôt de former au rabais un bataillon de personnes disponibles pour les emplois précaires dont se gave notre économie ?

 

Référence
9C_393/2021  du 24 mai 2022