Dépendances (avril 2020 n°67) | Le pari du rétablissement

Un Collège de rétablissement est un organisme de (trans-)formation pour toute personne s’intéressant à la santé mentale. Ses cours proposent de revenir au cœur de l’être humain et de s’intéresser à son parcours pour trouver des pistes d’amélioration. Fort de son expérience, le rédacteur nous emmène ici aux débuts du Collège de rétablissement en Suisse et lève le voile sur le processus de construction de la formation. (réd.)

Le rétablissement (recovery), en tant que concept et mouvement en santé mentale, est apparu à la fin des années 1990. A cette époque, des personnes concernées prennent la parole pour affirmer l’importance de s’intéresser au processus
intérieur permettant à une personne en souffrance de se construire à travers et avec sa maladie¹.

Étonnamment, cette dimension était restée jusqu’alors négligée et sous-explorée. On trouvait dans la littérature médicale une abondance de descriptions des maladies, d’explications plus ou moins fantaisistes de leurs causes ainsi qu’une pléthore de recommandations quant aux traitements à appliquer. Mais ce processus intérieur, ce déclic faisant qu’une personne à un moment donné parvient à prendre appui sur une proposition thérapeutique ou connaître un processus d’amélioration semblait en fait n’intéresser personne.

Ce sont des personnes concernées qui les premières ont levé un voile sur les processus de rétablissement. Une fois suffisamment rétablies, elles se sont formées dans différents domaines reconnus comme la médecine, la psychologie, les soins infirmiers, la sociologie ou l’anthropologie. Cette identité professionnelle leur a alors permis de prendre la parole publiquement et d’attirer l’attention de l’univers soignant sur l’importance de ces processus. Et sur la manière dont l’offre de soins (et en particulier la relation soignant-soigné) était soutenante ou au contraire endommageante de la santé des personnes concernées.

J’ai souvenir, alors jeune secrétaire général de l’association romande Pro Mente Sana, d’avoir vu apparaître les premières recherches en français sur le rétablissement, en provenance du Québec. Nous nous sommes évidemment empressés de les faire connaître.

MAINSTREAM !
Quinze ans plus tard, le rétablissement s’impose comme le paradigme désormais fondamental des politiques de santé mentale et des dispositifs de soins. Les hôpitaux psychiatriques s’en réclament, les politiques publiques disent s’en inspirer et tout le monde est d’accord sur l’importance de s’intéresser prioritairement au devenir des personnes, à leurs histoires de vie, en veillant à toujours garder à l’esprit leurs ressources, leurs compétences ainsi que leur potentiel d’amélioration.

Lorsqu’un concept sort de la marginalité pour s’imposer dans les pratiques sociales, il y a évidemment lieu de s’en réjouir mais également de garder un certain scepticisme. Il est facile de clamer que l’on veut remettre l’humain ou le patient-usager au centre et de se réclamer d’une démarche de rétablissement. Il est toutefois plus compliqué de se départir des conditionnements et visions du monde dans lesquels on s’est formé et qui relèvent de tout sauf de ce registre.

APPARITION DES COLLÈGES
Les premiers Collèges de rétablissement sont apparus une dizaine d’années seulement après la percée des pionniers du rétablissement. Ils ont été mis sur pied par des personnes qui avaient elles-mêmes connu une amélioration importante au sein de groupes d’entraides, et qui ont vu l’intérêt de pouvoir proposer des formations autour de certains thèmes pour partager et transmettre des pouvoirs d’agir pragmatiques et concrets en santé mentale.

Un Collège de rétablissement est donc un organisme de formation qui propose une offre de cours spécifiques. Il se distingue d’autres approches comme la psychoéducation ou la réhabilitation par un ensemble de caractéristiques. La principale d’entre elle est que les cours sont construits sur la base de l’expertise conjointe de professionnels formés à traiter ou accompagner des personnes en souffrance psychique et de personnes ayant elle-même connu ces difficultés et trouvé un chemin de rétablissement.

Les deux ordres de savoir ou d’expertise y sont considérés à pied d’égalité, chacun apportant quelque chose de spécifiquement utile et que l’autre n’apporte pas. Ce dispositif permet donc d’échapper au côté inégalitaire de la relation soignante habituelle, avec un professionnel qui est censé savoir et aller à peu près bien face à un patient identifié comme ignorant et en souffrance. On reconnaît ici qu’il y a savoir, expertise et vécu de part et d’autre.

Nous allons maintenant détailler le processus par lequel s’élabore une offre au sein des Collèges de rétablissement. Cette description mettra en lumière les autres spécificités de ce modèle et du paradigme sur lequel il repose.

PROCESSUS
1. Récolte des besoins
La première étape est de réunir des personnes fréquentant ces lieux et de s’enquérir des formations qu’elles souhaiteraient recevoir. La question posée est : « Quels seraient les formations que vous aimeriez suivre qui puissent vous être rapidement utiles dans votre vie de tous les jours?» Cette étape est incontournable entre autres pour nous guérir, en tant que professionnels, de cette tendance à savoir à la place des autres ce dont ils auraient besoin.

Dès que ces séances de récolte des besoins ont été annon- cées, plusieurs professionnels nous ont demandé s’ils pou- vaient « assister » à ces séances. Nous leur avons répondu que non, mais qu’ils pouvaient volontiers y participer. C’est-à-dire venir réfléchir à leurs propres besoins de formation et d’évolution. Comme nous aimons à le dire, nous avons tous une santé mentale et les soignants, les proches, les citoyens intéressés sont aussi concernés, directement ou indirectement, par les thèmes de cours.

“The relevant question in psychiatry shouldn’t be… What’s wrong with you? It should be… What happened to you?”  Eleanor Longden

Ceux qui reviennent le plus souvent relèvent de trois grandes catégories différentes : la première relève de la défense de la dignité et des droits, ce que l’on appelle aujourd’hui advocacy. La discrimination et la stigmatisation restent des réalités courantes. Les cours peuvent par exemple porter sur « Comment me faire respecter par des professionnels qui me prennent de haut ? », « Comment négocier ma médication avec mon médecin ? » ou « Comment s’y retrouver dans la jungle des assurances sociales ? ». On trouve également des cours sur les directives anticipées, les procédures de protection de l’adulte, ou le travail avec les institutions et autorités pour faire valoir la parole des personnes concernées.

La deuxième grande catégorie de demandes porte sur les troubles psychiques, et en particulier les maladies ou les conséquences des maladies. Nous veillons au sein du Collège à cultiver une posture qui soit intègre, honnête et nuancée. Les cours peuvent par exemple porter sur des pathologies comme les troubles de la personnalité ou les troubles bipolaires. Nous donnons alors les définitions en usage en psychiatrie, en mentionnant leurs avantages et inconvénients et sans les présenter comme des vérités absolues.

Nous avons ainsi suivi un cours d’une journée consacré aux troubles de la personnalité dans un Collège de rétablissement de Londres. Les animateurs ont souligné d’emblée que le diagnostic est en lui-même problématique, puisqu’il dit à une personne que c’est sa personnalité qui n’est pas comme il faudrait! La psychiatrie reste imprégnée d’un paradigme du dommage et de la réparation : les pathologies sont vues comme des déficiences, quelque chose à éliminer pour « réparer » une personne et la rendre fonctionnelle. L’expérience du rétablissement s’intéresse plutôt à ce qui lui est arrivé et à ce dont elle aurait besoin pour aller mieux.

La troisième catégorie de cours porte sur des compétences de vie tenant à la nature humaine, comme les émotions (les comprendre, les vivre, les explorer par exemple dans un atelier de théâtre), la gestion des pensées, l’estime de soi, etc.

2. Co-construire les contenus et co-animer les cours
Une fois un ensemble de thèmes retenus, la seconde étape est de construire des cours, qui sont toujours brefs (de deux heures à quelques demi-journées au plus). L’idée de la co-construction est de réunir un certain nombre de points de vue et savoirs pertinent sur chaque sujet. Nous sollicitons donc l’apport de différentes personnes concernées, de différents courants de pensée ou écoles thérapeutiques, sans oublier bien sûr le savoir et l’expérience des proches.

Une fois ce contenu de cours créé, des co-animateurs sont choisis pour chaque cours, toujours dispensés en binôme par un professionnel (médecin, infirmier, travailleur social, psychologue ou autre) et un pair-formateur ayant une expérience directe de la question abordée. L’idée étant de combiner les savoirs celui du spécialiste et celui issu du vécu) et les expériences (le professionnel a aussi un vécu en lien avec le thème abordé), ce qui nécessite de sortir de la répartition habituelle où la personne concernée témoigne et le professionnel explique. Ici, les deux témoignent et les deux apportent des éléments de compréhension.

3. Donner et évaluer les cours
Les cours sont ouverts à toute personne intéressée, gratuitement, sur inscription. Nul n’a à révéler à quel titre il participe au cours ou quel est son statut. Les participants se voient remettre une étiquette autocollante avec leur prénom à coller sur leur vêtement. Cette règle génère un effet amusant puisqu’il est bien sûr impossible de dire qui est qui. Des personnes concernées ou des proches sont pris pour des professionnels, des professionnels pris pour des malades ou des proches, et cette incertitude quant à l’identité des uns et des autres fait du bien en soi.

Chaque cours démarre par un accord de groupe qui définit les conditions requises pour un bon déroulement du cours (écoute, respect, tolérance, égalité dans les temps de parole, etc.). À l’issue de chaque cours, une évaluation est faite auprès des participants, mais aussi au sein du binôme de formateurs.

COLLÈGE DE RÉTABLISSEMENT EN SUISSE
L’association romande Pro Mente Sana (PMS) est fière et heureuse de conduire la première expérience de Collège de rétablissement dans notre pays. Notre expertise en matière de rétablissement, ainsi que le travail mené en synergie avec la Fondation suisse PMS pour la formation des pairs-praticiens en santé mentale nous permettent de bien comprendre les enjeux de ce projet.

Genève dispose de fondations et de fonds visant à soutenir des projets novateurs. Notre crédibilité institutionnelle en tant qu’association romande Pro Mente Sana a rendu possible le fait d’obtenir des crédits confortables auprès d’une fondation privée et de l’organe de répartition genevois de la Loterie romande, nous donnant les moyens de conduire une expérience pilote sur trois ans.

Nous nous sommes alors adressés à la trentaine de pairs praticiens formés dans le cadre de notre collaboration avec la haute école pédagogiques EESP de Lausanne, la Coraasp (faîtière des associations privées romandes en santé psychique) et l’association Re-pairs.

Le management de projet est en lui-même très imprégné de la philosophie du rétablissement : tout en veillant à définir des processus clairs et rigoureux, nous cherchons à garder chaque étape et élément du dispositif aussi simple que possible. En tablant sur l’intelligence collective et le consensus plutôt que la hiérarchie.

Nous avons choisi de démarrer nos programmes par une collaboration avec quatre organisations allant d’une asso- ciation animant un centre de jour en pleine ville (Parole) jusqu’au département de psychiatrie adulte des Hôpitaux universitaires, en passant par la fondation Trajets et les EPI, établissements publics pour l’intégration. De sorte à expérimenter d’emblée la proposition dans des contextes institutionnels et avec des publics différents.

Les premiers cours-test ont eu lieu au cours de l’été 2019. Cette première phase a été suivie d’un programme d’au- tomne plus fourni. Entre les deux, c’est 22 cours qui auront pu être donnés en l’espace de six mois dans trois lieux différents. Les premières réactions – et les premières évaluations des participants – sont enthousiastes. Le taux de satisfaction dépasse les 95 % d’avis favorables, avec une vive appréciation quant à la qualité des contenus et de l’animation, mais aussi de la bienveillance de l’intention et l’état d’esprit mis en œuvre.

Nous espérons vivement que cette expérience genevoise fasse référence. Nous sommes convaincus que les Collèges de rétablissement constituent une réponse particulièrement économique et pertinente aux problèmes de santé psychique. L’intérêt manifesté par le GREA et le domaine des addictions est prometteur de possibles développements vers une population souvent négligée dans ses capacités d’empowerment !

À l’heure où les coûts de la santé explosent, et/ou les réponses soignantes deviennent de plus en plus courtes et techniques, les personnes en souffrance ont besoin d’avoir accès à des dispositifs différents et de vivre des expériences qui soient fondatrices de leur rétablissement.

Un Collège de rétablissement est un espace où nous apprenons les uns des autres, les uns avec les autres, d’une manière où les participants se font mutuellement du bien en partageant des ressources et du pouvoir d’agir. Dans l’aventure concrète que constitue le développement d’un Collège de rétablissement, ces processus sont vécus avec humilité, bonne volonté, sincérité et une forme naturelle de solidarité. De très bons médicaments à coup sûr pour nos maladies humaines, qui que nous soyons…

¹ Citons comme figures de proue Bill Anthony, Patricia Deegan ou encore Luc Vigneault.

Jean-Dominique Michel, Pro Mente Sana


Références
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