Jurisprudence | Assurance invalidité

La dépression est-elle invalidante ? Valeur de l’expertise privé

Résumé Dame A dépose une demande de rente dans un contexte personnel marqué par des difficultés de couple et des problèmes financiers. Une expertise de l’Office AI (ci-après OAI) retient un trouble anxieux dépressif mixte léger, un trouble dissociatif et un syndrome douloureux somatoforme  sans répercussion sur la capacité de travail. Une expertise privée, versée à la procédure par Dame A, retient un trouble dépressif récurrent (épisode actuel sévère avec symptômes psychotiques et syndrome somatique), un trouble de la personnalité émotionnellement labile de type borderline, et aucune capacité de travail. Néanmoins, l’OAI refuse ses prestations au motif que les plaintes de Dame A ne reposent sur aucun substrat médical. Dame A reproche à l’OAI de n’avoir pas vu l’atteinte médicale objectivable dont elle souffre et obtient gain de cause devant le Tribunal fédéral (ci-après TF). Face à deux expertises contradictoires il fallait examiner objectivement tous les documents et indiquer les raisons pour lesquelles une opinion est mieux fondée qu’une autre : seul le contenu matériel d’un document médical permet d’en apprécier la portée. Un rapport médical ne peut être écarté pour l’unique raison qu’il émane du médecin traitant,  qu’il a été établi à la demande d’une partie ou par un médecin se trouvant dans un rapport de subordination vis-à-vis d’un assureur. S’agissant de Dame A le TF rappelle que les souffrances psychosociales ou socio économiques ne permettent plus d’accéder aux prestations de l’AI si un substrat médical n’entrave pas sérieusement la capacité de gain. De plus, la jurisprudence est réticente à reconnaître la caractère invalidant d’un trouble de la lignée dépressive, estimant que les dépressions sont généralement accessibles à un traitement. En présence de tels troubles elle exige donc que l’évaluation médicale décrive le processus thérapeutique et évalue l’influence des facteurs psychosociaux et socioculturels sur le tableau clinique. Or, en l’espèce, l’OAI a porté toute son attention sur les facteurs socioéconomiques plutôt que de procéder à une appréciation consciencieuse des différents points de vue médicaux versés à la procédure. En n’expliquant pas selon quels critères objectifs il  avait retenu l’avis isolé de son expert, de même qu’en écartant celui du contre-expert privé parce que ce dernier aurait nécessairement relayé les plaintes les plus alarmantes de sa cliente, l’OAI a sombré dans l’arbitraire. Commentaire Pour restreindre l’accès aux rentes la jurisprudence a artificiellement séparé la santé de son contexte social.  Du coup, la dépression, très souvent liée à l’environnement qui la voit naitre et la fait croître, en est devenue une maladie a priori non invalidante. Les OAI ont saisi l’aubaine pour refuser des rentes dès qu’un facteur économique ou social peut expliquer la dépression. Piégé dans cette absurdité le TF s’efforce ici de retrouver le bon sens en exigeant qu’un contexte social douloureux ne soit pas prétexte à réduire la dépression à caprice soluble dans la pharmacopée. C’est bien gentil mais peu efficace, car la dépression, quelle que soit son origine, est une maladie qui peut réduire à néant la capacité de gain et devrait toujours être envisagée comme potentiellement invalidante. Références 9C_55/2016 du 14 juillet 2016