Jurisprudence | Droit des étrangers

Souffrance psychique, assurance invalidité et droit au regroupement familial hors délai

Résumé
Sieur A, ressortissant du Kosovo vivant en Suisse, est marié à Dame B qui réside au Kosovo. Ils ont quatre enfants majeurs. Victime d’un accident en 1998, Sieur A bénéficie d’une rente de l’assurance invalidité et des prestations complémentaires. Il est titulaire d’une autorisation de séjour depuis 2007.

En 2015 le service de la population a refusé à Dame B l’autorisation d’entrée en Suisse soulignant qu’elle n’avait pas de de raison familiale majeure à faire valoir. En 2017 Dame B a déposé une nouvelle demande afin de rejoindre son époux dont l’état de santé s’aggravait. En effet, Sieur A avait dû être placé à des fins d’assistance au service de psychiatrie générale et souffrait d’un trouble dépressif récurrent avec symptômes psychotiques. Un rapport médical de l’hôpital indiquait que la séparation des époux intensifiait l’angoisse et la dépression de Sieur A et que la présence de son épouse auprès de lui était souhaitable. Le service de la population a néanmoins rejeté la demande de Dame B. Le Tribunal cantonal a rejeté le recours des époux A et B en dépit d’un rapport médical expliquant que Sieur A était au bout de ses moyens et que la présence de son épouse apparaissait à même de prévenir des épisodes de décompensations pouvant lui être fatals.

Se prévalant du respect de la vie familiale (art. 8 de la convention européenne des droits de l’homme, ci-après CEDH) les époux A et B se sont adressés au Tribunal fédéral (ci-après TF) qui leur a donné raison et a renvoyé la cause à l’autorité cantonale.

Le TF a estimé que la dégradation importante de l’état de santé de Sieur A, qui ne pouvait plus vivre seul, constituait une circonstance nouvelle par rapport à la demande de 2015, de sorte que Dame B pouvait valablement de solliciter à nouveau une autorisation de séjour. Il a ensuite constaté que Sieur A avait un droit de séjour durable en Suisse qui permettait d’invoquer l’article 8 CEDH protégeant la vie privée. Dans un tel cas, le droit au regroupement familial ne pouvait être refusé que pour de bonnes raisons, énumérées par la loi fédérale sur les étrangers et l’intégration (ci- après LEtr) qui exige notamment que la demande de regroupement familial soit faite dans les 5 ans qui suivent l’octroi de l’autorisation de séjour. A cet égard, le TF a constaté que la demande de Dame B avait été tardive de sorte qu’il lui fallait des raisons familiales majeures pour se voir accorder, hors délai, une autorisation de séjourner auprès de son époux. Poursuivant son raisonnement, le TF rappelle que, en règle générale, le seul désir de voir tous les membres de la famille réunis ne constitue pas une raison familiale majeure : ainsi, une famille qui a volontairement vécu séparée pendant des années n’exprime qu’un intérêt réduit à vivre ensemble de sorte que l’intérêt légitime à une politique d’immigration restrictive l’emporte sur l’intérêt privé de l’étranger à vivre en Suisse. Toutefois, en l’espèce, la demande était motivée par une aggravation importante de l’état de santé de Sieur A qui, souffrant d’un état dépressif récurent, de troubles cognitifs et perceptifs risquait de devenir grabataire, son état le poussant à se retirer socialement et lui interdisant d’accomplir ses tâches quotidiennes. De plus on ne pouvait pas reprocher aux époux A et B d’avoir vécu séparés depuis 2007. En effet, la situation précaire de Sieur A ne lui avait pas permis de remplir les conditions du regroupement familial puisqu’il n’avait pas les ressources nécessaires pour subvenir aux besoins de sa famille notamment pour payer un appartement adéquat pour lui, son épouse et leurs 4 enfants. Dans ces circonstances le TF estime que la condition des raisons familiales majeures est remplie pour que Dame B se voie accorder une autorisation de séjour.

Commentaire
La cruauté des autorités cantonales vaudoises estimant qu’un étranger en souffrances psychiques aigues n’a pas besoin de son épouse car il peut trouver le soutien dont il a besoin auprès des institutions médicales et sociales ne peut que nous atterrer. Cette affaire met aussi en lumière la discrimination indirecte qui a cours à l’encontre des pauvres qui ne peuvent pas obtenir le regroupement familial faute de ressources financières suffisantes et qui se voient ensuite opposer le choix d’avoir vécu séparés.

Références
2C_668/2018 du 28 février 2020 (destiné à publication)