Récusation d’un expert partageant son cabinet avec le médecin-conseil de l’assurance qui le mandate

Jurisprudence | Loi sur la partie générale des assurances sociales

 

Récusation d’un expert partageant son cabinet avec le médecin-conseil de l’assurance qui le mandate

 

Résumé

Le cas de Sieur A, victime d’un accident, est soumis au médecin-conseil de l’assurance Helsana, le Dr B, qui juge la fracture guérie, le reste étant dégénératif. Cela justifie de de cesser la prise en charge mais Sieur A s’oppose à cette décision. C’est ainsi qu’en août 2019 Helsana l’informe qu’une expertise sera mise en œuvre auprès du Dr C. Cet expert, proposé par le Dr B, estime que la cause des douleurs n’est plus l’accident mais un état pathologique antérieur à celui-ci. Sur cette base Helsana confirme, par décision du 14 juillet 2020, qu’elle cesse la prise en charge. Le 24 juillet 2020 le nouvel avocat de Sieur A fait valoir que l’expert C n’était ni impartial ni indépendant, car il partageait son cabinet médical avec le Dr B ; l’avocat demande l’annulation de la décision du 14 juillet 2020 ; il requiert également la production par Helsana d’une liste anonymisée de toutes les expertises confiées au Dr C depuis 2010. Helsana refuse et le Dr B d’expliquer qu’il ne fait que partager les locaux et les frais avec le Dr C sans être une Sàrl ou une SA, de sorte que leurs revenus sont indépendants. L’instruction révèlera que, sur une période de 12 ans, le Dr C a rendu 169 rapports d’expertise sur proposition du Dr B et encaissé un montant total d’honoraires de 562’920 fr 90.

L’affaire est soumise au Tribunal fédéral (ci-après TF) qui considère que Sieur A avait bien un motif de récusation de l’expert C et qu’on ne pouvait pas lui reprocher de l’avoir invoqué tardivement.

Selon l’article 44 LPGA la communication du nom de l’expert doit permettre à l’assuré de reconnaître s’il s’agit d’une personne à l’encontre de laquelle il existerait un motif de récusation, c’est-à-dire des circonstances propres à faire naître un doute sur son impartialité. En l’espèce, le fait que les Drs B et C exploitent ensemble un cabinet de groupe et que le premier propose de confier l’expertise au second était de nature à créer objectivement l’apparence d’une prévention. En effet, un petit cabinet de groupe implique une présence régulière dans les locaux de nature à favoriser des liens plus étroits que ceux qui peuvent exister entre des spécialistes qui se croisent à l’occasion hors de leur lieu de travail. Des contacts quotidiens, doublés d’une communauté d’intérêts économiques à travers le partage des frais, constituent des éléments objectifs suffisants à faire naître l’apparence d’une prévention lorsqu’un des associés est désigné comme expert par un assureur qui emploie l’autre comme médecin-conseil.

Quant au temps pris par l’assuré et son avocat pour faire valoir le motif de récusation (11 mois), le TF relève que le rapprochement entre les Drs B et C n’avait été fait que fortuitement par le nouvel avocat de Sieur A. Dès lors qu’il n’existe pas d’obligation générale d’effectuer des recherches, on ne pouvait pas faire grief à l’avocate précédente de n’avoir pas découvert les liens existants entre le médecin-conseil B et l’expert C. On ne pouvait pas davantage blâmer Sieur A de n’avoir pas eu le nom du Dr B à l’esprit lorsqu’il s’était rendu au cabinet du Dr C pour l’expertise, même s’il avait pu avoir connaissance de ce nom plus d’une année auparavant à la lecture de certaines correspondances. La demande de récusation n’était donc pas tardive.

Le rapport du Dr C est écarté et Helsana requise de mettre en œuvre une nouvelle expertise.

Commentaire
Le résultat est appréciable mais on aimerait pouvoir faire confiance aux assureurs et aux médecins pour éviter volontairement des liens aussi incestueux que lucratifs plutôt que de compter sur le hasard pour les connaître. Rêvons d’un monde où médecins et assureurs ne seraient pas d’abord mus par l’appât du gain…

Référence
8C_514/2021 du 27 avril 2022, destiné à publication