Conditions du droit aux prestations complémentaires en cas de refus de rente AI 

Jurisprudence | Prestations complémentaires

Conditions du droit aux prestations complémentaires en cas de refus de rente AI 

 

Résumé
Dame A est arrivée en Suisse en 2008 et n’a pas exercé d’activité professionnelle. En 2016, elle dépose une demande AI. La rente lui est refusée au motif que les empêchements rencontrés dans la tenue du ménage sont inférieurs à 40 %*. Dame A recourt à la Cour de justice (ci-après CJ) qui constate qu’elle n’a pas droit à une rente du fait qu’elle n’a pas cotisé pendant trois ans avant la survenance de l’invalidité (art. 36 LAI). Estimant cependant que le taux d’invalidité revêt une importance pratique sous l’angle d’un éventuel droit aux prestations complémentaires (art. 4 al. 1 let. d LPC**), la CJ demande à l’office AI (ci-après OAI) d’appliquer la méthode mixte pour déterminer le taux d’invalidité de Dame A. L’OAI s’adresse au Tribunal fédéral (ci-après TF) qui le dispense de ce calcul.

Le TF indique que Dame A n’a pas besoin de faire constater son degré d’invalidité pour pouvoir déposer une demande de prestations complémentaires (ci-après PC). En effet, les questions préliminaires telles que le statut de l’assuré·e et le revenu hypothétique à prendre en considération peuvent être librement tranchées par le Service des prestations complémentaires (ci-après SPC). L’examen des conditions matérielles du droit aux PC ne dépend donc pas d’une décision de refus préalable de l’AI. Le TF fait toutefois remarquer que l’OAI n’aurait pas dû nier le droit à la rente en raison du degré d’invalidité mais uniquement parce que la condition de la durée minimale de cotisation de trois ans n’était pas remplie. Le TF confirme le refus de rente, mais par substitution de motifs, et indique clairement que le statut de ménagère sans activité ainsi que le degré d’invalidité fixé à 38,7% ne lient pas le SPC.

* Le droit à une rente n’est ouvert qu’à partir d’un taux d’invalidité de 40%.

**Art. 4 Conditions générales

1 Les personnes qui ont leur domicile et leur résidence habituelle (art. 13 LPGA) en Suisse ont droit à des prestations complémentaires dès lors qu’elles :

(…)

d.
auraient droit à une rente de l’AI si elles justifiaient de la durée de cotisation minimale requise à l’art. 36, al. 1, de la loi du 19 juin 1959 sur l’assurance-invalidité.

 

Commentaire
Quand on a expérimenté la parcimonie avec laquelle l’assurance invalidité accorde des rentes on est soulagé que le TF lui dise de ne pas se prononcer sur le droit aux prestations complémentaires. Oui, mais quand on a expérimenté la parcimonie avec laquelle les prestations complémentaires calculent les prestations…on attend et on espère.

Référence :
9C_126/2021 du 29 mars 2022

Nullité d’une notification à une personne incapable de discernement

Jurisprudence | Prestations complémentaires

Nullité d’une notification à une personne incapable de discernement

Résumé

Sieur A, qui souffre d’un retard mental, vit depuis 2001 à la fondation B où les décisions concernant ses prestations complémentaires (ci-après PC) lui sont notifiées. Sieur A n’a pas de représentant·e. C’est la fondation B qui remplit les demandes de PC. En janvier 2016 la fondation B informe le service des prestations complémentaires (ci-après SPC) que le prix de la pension n’avait, et depuis longtemps, pas été calculé correctement. Le SPC fait état d’une erreur de saisie informatique en 2001 et déclare qu’il corrigera la situation pour le futur ; en revanche il refuse d’entrer en matière sur une demande de reconsidération pour la période antérieure, motif pris que les décisions erronées sont entrées en force sans avoir été contestées. En juillet 2016, Sieur A est mis sous curatelle de portée générale. Il demande alors que soit constatée la nullité de toutes les décisions de PC rendues à son égard depuis 2001. Face au refus du SPC l’avocate de Sieur A finit par s’adresser au Tribunal fédéral (ci-après TF) pour que le SPC rende de nouvelles décisions pour les années 2001 à 2015 et constate que les PC versées de 2001 à 2015 présentaient un « manco » en sa faveur. Le TF lui donne raison.

Le TF constate que les décisions notifiées par le SPC entre 2001 et 2015 ont été adressées à Sieur A à son lieu de résidence, la fondation B.  Toutefois, la fondation B n’était pas habilitée à percevoir directement les PC dues à Sieur A sur la base de l’article art. 20 LPGA*, comme le prétendait le SPC. Il fallait encore tenir compte du fait que Sieur A, incapable de discernement, n’avait jamais pu s’occuper de ses affaires administratives, ni donc être habilité à désigner lui-même un·e représentant·e en la personne de la fondation B.  Le SPC ne pouvait pas considérer que ses décisions étaient valablement notifiées à une personne incapable de discernement sans s’interroger sur sa représentation. Or le fait que la fondation B, qui s’occupait en permanence des affaires de Sieur A, ait été autorisée par la loi (OPC, RAVS, LPGA, OPGA) à requérir les PC en son nom, à les percevoir directement et à se voir notifier les décisions y relatives n’impliquait pas qu’elle fût habilitée à représenter Sieur A en ce qui concerne les PC. Notifiées à une personne incapable de discernement et dépourvue de représentant légal, les décisions de PC n’avaient pas pu parvenir valablement à Sieur A : elles étaient nulles. Compte tenu de l’importance de la protection des personnes incapables de discernement, la nullité de ces décisions est constatée par le TF qui renvoie la cause au SPC pour qu’il statue sur le droit aux PC de Sieur A pour la période antérieure au 1er janvier 2016.

*Disposition de la loi sur la partie générale du droit des assurances sociales permettant à un assureur de verser ses prestations en mains d’un tiers lorsque la personne concernée n’utilise pas les prestations pour son entretien et dépend de ce fait de l’assistance publique ou privée.

Commentaire

Cette affaire nous est familière sur trois points :

  1. La mesquinerie du service des prestations complémentaires, talonné par la nécessité d’économiser même au prix de la rectitude ;
  2. La peine qu’a notre monde à protéger les personnes vulnérables contre des atteintes à leurs droit commises par les autorités qui ont pour but de les soutenir
  3. La nécessité du droit des assuré·es à un·e avocat·e, qui seul·e peut être assez pugnace pour obtenir gain de cause.

 

Références : 9C_57/2020 du 16 février 2021

 

Renoncer à une pension alimentaire

Jurisprudence | Prestations complémentaires

Renoncer à une pension alimentaire

Résumé Sieur A et Dame A, bien que mariés, vivent séparés depuis 1993. A cette époque  Sieur A avait été condamné à verser à Dame A une contribution d’entretien pendant une année à raison de 1’500 CHF / mois. Au moment de la retraite, 19 ans plus tard, les prestations complémentaires (ci-après PC) sont refusées à Dame A parce que, selon le service des prestations complémentaires (ci-après SPC), Dame A  pourrait toucher de Sieur A une pension alimentaire annuelle de 18’000 CHF (soit 12 x 1’500 CHF). Par conséquent, le SPC retient un revenu hypothétique de 18’000 CHF dont Dame A se serait volontairement dessaisie. Selon le Tribunal fédéral (ci-après TF) le SPC est en droit, lorsqu’aucune contribution d’entretien n’a été convenue entre les conjoints, d’examiner si une telle contribution entre en ligne de compte et, dans l’affirmative, d’en déterminer le montant. En l’espèce, le droit de Dame A à une pension de 1’500 CHF / mois datait d’une vingtaine d’années et n’avait pas été prorogé par le juge. Dans ces circonstances, le SPC ne pouvait pas, sans enfreindre la loi, considérer aujourd’hui ce montant mensuel comme une pension potentielle, alors même qu’il ignorait tout de la situation économique actuelle de Sieur A. Dans de telles circonstances, le SPC aurait pu recueillir les renseignements nécessaires auprès des autorités fiscales. Le TF précise encore que si, par la suite, Dame A renonçait à saisir le juge civil pour faire fixer une contribution d’entretien, le SPC serait alors fondé à tenir compte d’une contribution d’entretien dont le montant devrait être déterminé selon les circonstances du cas d’espèce, mais non pas de manière forfaitaire ou abstraite. Commentaire Nous voici rassurés de savoir que le revenu hypothétique doit impérativement correspondre à une réalité et non pas se fonder sur des conjectures abstraites. Références 9C511/2013 du 8 mai 2014

Ne pas comprendre les calculs de prestations complémentaires (PC)

Jurisprudence | Prestations complémentaires

Ne pas comprendre les calculs de prestations complémentaires (PC)

Résumé
Le 21 octobre 2010 le service des prestations complémentaires (ci-après SPC) a demandé à Sieur A de restituer un montant de 251’429 CHF correspondant notamment à des prestations complémentaires (ci-après PC) versées à tort du 1 er octobre 2000 au 30 septembre 2010. Sieur A s’est opposé et, le 25 octobre 2011, le SPC a réduit à 180’571, 65 CHF le montant dont il réclamait la restitution. Cette décision était assortie d’un plan de « recalcul des prestations » dans lequel étaient inclus des éléments relatifs à la période courant jusqu’au mois d’octobre 2011. Saisie par Sieur A, la Cour de justice a jugé, le 26 septembre 2013,  que la demande de restitution ne devait porter que sur la période du 1 er octobre 2005 au 30 septembre 2010. Mécontent, le SPC a demandé au Tribunal fédéral (ci-après TF) d’annuler le jugement de la Cour de justice. S’agissant du système de calcul appliqué, le SPC exposait dans son recours que l’assuré ne connaissait pas immédiatement le montant actualisé de sa dette et qu’il devait, de ce fait, procéder à une lecture successive des décisions rendues.

Le TF procède à un examen des bases de calcul. Il  juge que le SPC n’était pas en droit de prendre en considération tous les faits survenus après sa décision initiale du 21 octobre 2010 et jusqu’à  la décision sur opposition du 25 octobre 2011. Concernant la communication des calculs, le TF remarque que les explications fournies  mettent en évidence une pratique qui n’est pas admissible, car le SPC est tenu de soumettre aux administrés des calculs non seulement clairs et compréhensibles, mais qui correspondent également au dossier de la procédure. Il juge que la pratique du SPC prête à confusion et ne saurait être maintenue.

Commentaire
Tous ceux qui se sont arrachés les cheveux à la lecture des décisions chiffrées portant sur les prestations complémentaires salueront  cette jurisprudence exigeant des organes chargés de l’exécution du régime des prestations complémentaires qu’ils présentent des calculs intelligibles aux assurés.

Références
9C_777/2013 du 13 février 2014

Le conjoint du bénéficiaire n’est pas soumis à un devoir de renseigner sur sa propre situation

Jurisprudence | Prestations complémentaires

Le conjoint du bénéficiaire n’est pas soumis à un devoir de renseigner sur sa propre situation

Résumé
Dame A, épouse de Sieur B invalide, signe la demande de prestations complémentaires (ci-après PC) que celui-ci dépose en 1994. En 2000 elle se sépare de Sieur B qui continue à toucher les PC. Le Service des PC (ci-après SPC) notifie toutes ses communications exclusivement à Sieur B. La rente de Sieur B est supprimée en 2009. Le SPC cesse ses versements et exige de Dame A et Sieur B qu’ils restituent 260’245 CHF perçus en trop par Sieur B entre 2000 et 2009. Le SPC considère Dame A comme bénéficiaire de PC et lui reproche d’avoir contrevenu à son devoir de renseigner : elle aurait dû dire qu’elle s’était séparée de Sieur B.  Estimant qu’elle n’est pas de bonne foi  il refuse de lui octroyer la  remise de l’obligation de restituer qu’elle réclame sur la base de la LPGA (RS 830.1).
Le Tribunal fédéral  (ci-après TF) ne l’entend pas de cette oreille : lorsqu’elle appose sa signature conjugale sur un formulaire de demande de PC l’épouse ne devient pas pour autant bénéficiaire de la PC à laquelle elle n’a nul droit propre ou autonome : Dame A n’était par conséquent soumise à aucun devoir d’annoncer la séparation, que le SPC pourrait lui reprocher d’avoir violé. Dans ces circonstances le SPC doit reconnaitre sa bonne foi et entrer en matière sur la remise de l’obligation de restituer.

Commentaire
Cette jurisprudence tient équitablement compte de la réalité : laisser l’autorité cantonale poursuivre quelqu’un-e qui n’est pas bénéficiaire d’une prestation sociale dans le seul but d’élargir le cercle des personnes soumises à une obligation de restituer aurait été tant une injustice ponctuelle qu’un redoutable encouragement à harceler une catégorie sociale fragile et sans ressources. Il y a quand même lieu de s’inquiéter du fait que le TF doive répéter la messe aux autorités genevoises : dans un arrêt de 2010 (9C_ 211/2009 du 26.02.10) le TF avait déjà expliqué au SPC que l’époux n’étant pas bénéficiaire de la PC il n’est pas soumis à l’obligation de restituer.

Références
9C_638/2014 du 13 août 2015

Droit à une aide financière transitoire pour une propriétaire immobilière à l’AI

Jurisprudence | Droit des prestations complémentaires

Droit à une aide financière transitoire pour une propriétaire immobilière à l’AI

Résumé
Dame A, titulaire d’une rente AI, est propriétaire en main commune* avec ses sœurs d’un immeuble comprenant trois appartements ; un droit d’habitation avait été constitué au profit des parents jusqu’à leur décès en 2016. C’est alors que les prestations complémentaires de Dame A furent supprimées au motif qu’il fallait tenir compte de la valeur de l’immeuble. En effet, la fortune de Dame A était désormais supérieure aux normes (820’000 CHF), et l’immeuble lui procurait un revenu estimé à 36’900 CHF du fait qu’il ne lui servait pas d’habitation. Or, Dame A faisait valoir qu’elle ne parvenait ni à obliger ses sœurs à vendre, ni à obtenir leur accord pour occuper l’un des appartements de sorte que sa fortune lui était inaccessible. Dans cette situation elle se retrouvait sans aucun moyen de subsistance, dans l’incapacité de s’alimenter, payer le loyer, l’assurance maladie et ses frais de santé, ce qui violait son droit à obtenir une aide dans une situation de détresse, un droit pourtant garanti par l’article 12 de la Constitution fédérale (ci-après Cst).

Au terme d’un recours de droit public, le Tribunal fédéral (ci-après TF) a estimé que Dame A devait avoir droit à des prestations d’aide sociale ordinaire dans l’attente de la liquidation de la succession et a renvoyé l’affaire au Service des prestations complémentaires pour qu’il effectue le calcul.

Le TF commence par rappeler que l’article 12 Cst. ne garantit que la couverture des besoins élémentaires pour survivre comme la nourriture, le logement, l’habillement et les soins médicaux de base. Le droit cantonal à l’aide sociale est plus complet et ressort de la compétence des cantons. A Genève, la loi sur l’insertion et l’aide sociale individuelle (ci- après LIASI) prévoit qu’exceptionnellement une aide financière remboursable peut être accordée aux propriétaires pour autant qu’ils habitent leur immeuble. Cette aide avait été refusée à Dame A, car elle n’habitait pas l’immeuble dont elle était propriétaire. Le canton estimait également que Dame A n’avait pas droit à l’aide exceptionnelle prévue par la LIASI pour ceux qui attendent la liquidation d’une succession, du fait qu’elle ne pouvait pas être préalablement qualifiée de bénéficiaire de l’aide sociale.

Le TF juge qu’en l’absence de ressources immédiatement disponibles ou réalisables à court terme, l’intéressée doit être considérée comme étant dans le besoin et que l’État doit lui accorder une aide à titre transitoire. En cas de succession non partagée, l’autorité compétente doit, après avoir fixé un délai pour ouvrir une action en partage, accorder une aide transitoire sous forme d’avances remboursables. Ce droit existe pour Dame A, même si elle ne peut pas être préalablement qualifiée de bénéficiaire de l’aide sociale du fait qu’elle dépasse les limites de fortune donnant droit à des prestations financière générales. Dès lors, en conditionnant le droit à une aide transitoire à la possibilité d’être qualifié de bénéficiaire des prestations de la LIASI, le canton de Genève a vidé cette loi de toute portée, ce qui est insoutenable.

* Cela signifie que chaque propriétaire communiste ne peut exercer son droit qu’en vertu d’une décision unanime (art. 653 al. 2 CC)

Commentaire
La paupérisation qui touche la population suisse un peu plus intensément chaque année accroit cette catégorie nouvelle et surprenante des propriétaires indigents. Une application mécanique et inintelligente des dispositions d’aide sociale a conduit le canton de Genève à refuser absurdement l’aide à une personne n’ayant que 752 CHF pour vivre avec deux enfants ! Il était donc sain que le TF reconnaisse un des nouveaux visages de la pauvreté.

Référence
8C_444/2019 du 6 février 2020 publié aux ATF 146 I 1

Le communiqué de presse du Tribunal fédéral