Jurisprudence | LAVI

Causalité adéquate entre une agression physique et l’atteinte psychique qui en résulte chez une personne qui a subi des événements traumatiques auparavant

Résumé
Le 24 décembre 2013 Dame A, 48 ans, est agressée par Sieur B sur son lieu de travail. Son incapacité de travail est prise en charge par l’assurance accident jusqu’au 31 juillet 2014. Dès le 1er janvier 2015 Dame A est mise au bénéfice d’une rente entière de l’assurance invalidité. En mai 2014, une procédure pénale dirigée contre Sieur B est classée dès lors que ce dernier, atteint d’une grave maladie psychique, était en état d’irresponsabilité au moment où il a giflé Dame A et l’a rouée de coups. Début 2017 Dame A réclame à Sieur B un montant de 100’000 fr. pour perte de revenu, atteinte à son avenir économique et troubles psychiques ayant conduit à une incapacité de travail. Cette procédure civile aboutit, le 16 octobre 2017, à une proposition du curateur de Sieur B de verser 5’000 fr. pour solde de tout compte. Le 17 juillet 2018, Dame A  adresse au département compétent de son canton (ci-après le département) une demande d’indemnisation et de réparation morale sur la base de la loi sur l’aide aux victimes d’infractions (ci-après LAVI, RS 312.5). Sa demande est rejetée au motif que les préjudices allégués ne seraient pas en relation de causalité adéquate avec l’agression du 24 décembre 2013, mais seraient une résurgence de traumatismes bien antérieurs à cette date. En effet entre 6 et 18 ans Dame A a vécu plusieurs événements traumatiques : abus sexuel, perte de sa mère dans un accident de voiture, mariage arrangé, tentative de meurtre de la part de son mari et enlèvement de son enfant par sa belle-famille. Dame A s’adresse alors au Tribunal fédéral (ci-après TF) qui lui donne partiellement raison et renvoie l’affaire au département pour complément d’instruction.

Le TF désavoue l’instance cantonale qui n’aurait pas dû examiner la causalité adéquate comme en droit des assurances sociales mais comme en droit de la responsabilité civile. En assurances sociales un événement sans gravité objective ne peut pas être la cause d’un dommage, ce qui n’est pas le cas en droit de la responsabilité civile. Au surplus, la prestation versée par une assurance sociale est la contrepartie d’une cotisation et peut être refusée si le traumatisme existait avant l’accident. Le but de la LAVI, en revanche, est d’offrir aux victimes une protection complémentaire à celle des assurances sociales ; de ce fait, l’existence de traumatismes préexistants ne justifie qu’une réduction de l’indemnité LAVI.

En l’espèce, il n’y a pas d’évidence que les traumatismes antérieurs à l’attaque, qui remontent pour les plus récents au début des années 90, soient la cause la plus immédiate du dommage de Dame A puisqu’ils ne l’ont pas empêchée de travailler et de mener une vie épanouie avec son mari jusqu’au 24 décembre 2013. Ces traumatismes préexistants sont toutefois susceptibles de justifier une réduction de l’indemnité en vertu de l’art. 27 al. 1 LAVI.

Il appartiendra donc au département d’établir en quoi consiste le préjudice de Dame A qui n’aurait pas été couvert par les prestations déjà obtenues, de déterminer si ce préjudice est en relation de causalité adéquate avec l’agression et de fixer le montant de l’indemnité.

Commentaire
Que la causalité adéquate entre un événement et ses suites ne soit pas la même dans les divers domaines du droit ne facilite pas la vie des victimes et occupe leurs avocat·es !  Toutefois cette dramatique histoire a le mérite de rappeler clairement que c’est le droit de la responsabilité civile, plus favorable aux victimes que celui des assurances sociales, qui est applicable à la LAVI depuis le 1er janvier 2009.

Références
1C_152/2020 du 8 septembre 2020