Jurisprudence | Aide sociale
Surveillance inquisitrice des relations de couple par le Service d’aide sociale de la ville de Fribourg
Résumé
Dame A et Sieur B, souffrant tous deux de troubles psychiques, sont mariés et ont un enfant commun. Suite à la suppression de la rente AI de Dame A en juillet 2015, la famille a vécu de l’aide sociale. En février 2016 les époux A ont été autorisés à vivre séparés de sorte que le montant de l’aide perçue par Dame A et son enfant a été adapté à cette nouvelle situation. De son côté, Sieur B a bénéficié de l’aide sociale d’une autre commune. En janvier et févier 2018 une surveillance policière est mise en place. L’aide de Dame A est supprimée avec effet au 1er mars 2018 par le Service social qui exige le remboursement de CHF 49’335.65 au motif que les époux auraient repris la vie commune sans l’en informer au préalable. Dame A est également dénoncée au Ministère public pour abus d’aide sociale. Le Ministère public instruit l’affaire et la classe : il était impossible d’établir que les époux avaient créé un ménage commun même si Sieur B avait passé plusieurs fois la nuit chez son épouse et leur enfant ; ceci s’expliquait en partie par le fait que Dame A avait connu, durant l’hiver 2017-2018, un épisode dépressif grave qui avait nécessité le soutien de sa mère et de son mari. Tenant compte des faits établis par la procédure pénale, le Tribunal cantonal de l’État de Fribourg annule l’exigence de remboursement. Mécontent, le Service social s’adresse au Tribunal Fédéral (ci-après TF) qui donne raison à Dame A.
Selon la loi fribourgeoise sur l’aide sociale* la personne qui sollicite une aide matérielle doit informer le Service social de sa situation personnelle. A la question de savoir si les époux avaient repris une vie commune sans l’annoncer au Service social, le Ministère public avait répondu par la négative car cette hypothèse était aussi probable que l’hypothèse inverse, dès lors que les époux avaient gardé un lien d’assistance mutuelle puis avaient progressivement repris une relation de couple sans former un ménage commun. D’autre part, même s’il y avait eu un ménage commun non déclaré, cela n’aurait pas justifié le remboursement de l’intégralité de l’aide accordée : il aurait fallu procéder à un calcul rétroactif. Ainsi, le Service social n’aurait pas dû s’écarter sans raison sérieuse des faits constatés par le juge pénal.
Devant le TF le Service social soutient que la simple présence régulière de Sieur A chez son épouse suffirait à fonder une violation du devoir d’informer. A cela le TF répond, sous l’ange de l’arbitraire, que l’hébergement occasionnel de son conjoint par Dame A n’est pas un changement de situation soumis à une obligation d’annonce.
Le Service social, qui succombe, est condamné aux frais judicaires ainsi qu’à verser une indemnité de dépens à Dame A.
*Art. 24 LASoc RS 831.0.1 Obligation de renseigner 1. La personne qui sollicite une aide matérielle est tenue d’informer le service social de sa situation personnelle et financière de manière complète et de produire les documents nécessaires à l’enquête. 2. L’aide matérielle peut être refusée si le requérant ne produit pas les documents nécessaires à l’enquête. Cependant, elle ne peut être refusée à une personne dans le besoin, même si celle-ci est personnellement responsable de son état. 3. Le bénéficiaire doit informer sans délai le service social de tout changement de sa situation. 4. En respectant les principes de proportionnalité et de finalité, le service social compétent peut faire signer au demandeur une procuration l’autorisant à requérir lui-même auprès des communes, des services de l’État, des assurances sociales et privées, ainsi qu’auprès de tiers, les informations nécessaires concernant en particulier les ressources financières du demandeur, ses charges courantes, son état civil et sa situation domiciliaire ainsi que sa capacité de travail et de gain. 5. En cas de doute sur l’exactitude ou la véracité des renseignements fournis par le demandeur concernant sa situation personnelle et financière, celui-ci doit délier du secret les services ou tiers nommément désignés afin de permettre aux autorités d’aide sociale de récolter les informations à son sujet qui sont nécessaires à la détermination de son droit à l’aide matérielle. A la demande des autorités d’aide sociale, il doit notamment lever le secret bancaire et le secret fiscal. En cas de refus, le demandeur peut être sanctionné au sens de l’alinéa 2 ci-dessus ou dans les limites définies dans les normes relevant de l’article 22a al. 1.
Commentaires
Honte à l’aide sociale de la ville de Fribourg qui exerce un contrôle policier sur la vie privée des pauvres et les punit, au-delà de ce que la loi autoriserait, pour l’assistance mutuelle qu’ils s’accordent conformément au droit du mariage (article 159 alinéa 3 du code civil).
Références
8C_84/2020 du 28 janvier 2021