Droit à un interprète pour l’expertise

Jurisprudence | Assurance invalidité

Droit à un interprète pour l’expertise

Résumé En avril 2010 Dame A, brésilienne arrivée en Suisse en 1985, demande une rente en raison d’une schizophrénie bipolaire dont elle souffrirait depuis 1983. L’office AI demande au docteur B de se prononcer sur la date de survenance de l’incapacité de travail. Sur la base de cette expertise l’Office AI refuse la rente. Se plaignant d’une violation de ses droits procéduraux pour n’avoir pas eu d’interprète durant l’expertise, Dame A saisit le Tribunal fédéral (ci-après TF). Celui-ci rappelle qu’il n’existe pas de droit inconditionnel à la réalisation d’un examen médical dans la langue maternelle de l’assuré ou à l’assistance d’un interprète. Il appartient à l’expert de décider du concours d’un interprète dans le cadre de l’exécution soigneuse de son mandat, car il en va de la valeur probante de l’expertise. En l’espèce, s’agissant d’apprécier des faits remontant à plus de 30 ans, il apparaît essentiel que Dame A comprenne parfaitement les questions du docteur B et qu’elle puisse y répondre avec toutes les nuances nécessaires. Or le docteur B a constaté que Dame A était souvent un peu floue, confuse et qu’il fallait reposer les questions à plusieurs reprises ; il a ajouté qu’elle ne saisissait pas véritablement le sens des questions ayant rapport à son histoire personnelle et a fait état d’un discours parfois un peu décousu. Dans ces conditions l’absence d’un traducteur durant l’entretien est de nature à susciter une incertitude quant à la pertinence des constatations du docteur B. Le TF renvoie la cause afin que l’expertise puisse se dérouler intégralement dans la langue de Dame A ou avec l’aide d’un interprète. Commentaire Malgré à une issue favorable pour l’assurée il faut déplorer l’absence de droit à un interprète tant pour les expertises que pour les psychothérapies. Notons encore que si  Dame A en plus d’être schizophrène avait été muette l’article 21 de la Convention relative aux droit des personnes handicapées (RS 0.109) aurait obligé l’Etat à accepter et faciliter le recours à la langue des signes. Références 9C_262/2015 du 08 janvier 2016

16 mois d’attente pour une expertise, c’est raisonnable

Jurisprudence | Assurance invalidité

16 mois d’attente pour une expertise, c’est raisonnable

Résumé Sieur A demande une réévaluation de sa situation le 12 décembre 2011. Le 16 octobre 2012 la cause est renvoyée à l’Office AI (ci-après OAI) pour expertise. Le 19 novembre 2013 le dossier de Sieur A est inscrit sur la plateforme SuisseMED@P , système d’attribution aléatoire des mandats d’expertise. En février 2015 l’OAI est toujours incapable de dire à Sieur A à quelle date l’expertise pourra être réalisée. Sieur A s’estime victime d’un déni de justice. Le 22 avril 2016 le Tribunal fédéral (ci-après TF) lui donne tort, mais à reculons. Selon le TF les multiples retards dans l’attribution des mandats d’expertise sont bien documentés sans être imputables aux  OAI ni réparables par les juges. La Confédération a un devoir général de surveillance, délégué au Département fédéral de l’intérieur qui en a transféré une partie à l’OFAS (Office fédéral des assurances sociales) afin qu’il s’en acquitte de façon indépendante : ce n’est donc pas à une autorité judiciaire de s’exprimer mais à l’OFAS d’intervenir. Cela étant, le caractère raisonnable de la durée de la procédure s’apprécie en fonction des circonstances : seize mois peuvent paraître longs pour l’étape de la désignation des experts, mais la durée de la procédure dans son ensemble n’est pas déraisonnable. En effet, la mise en œuvre d’une plateforme informatique engendre nécessairement des ajustements, des délais et des difficultés. Il n’en demeure pas moins que seize mois de retard mettent en évidence un dysfonctionnement, qui, s’il perdurait, serait susceptible de causer un retard injustifié. Cette situation insatisfaisante laisse supposer que la plateforme SuisseMED@P ne fonctionne pas. Ce dysfonctionnement est du ressort de l’OFAS auquel il convient de transmettre le dossier afin qu’il assume son rôle d’autorité de surveillance. Compte tenu des circonstances dans lesquelles il perd, Sieur A n’aura pas de frais judicaires et l’OAI, même s’il obtient gain de cause, n’aura pas droit à des dépens. Commentaire Le TF est contraint de constater le dysfonctionnement des institutions sans pouvoir y remédier, sans pouvoir condamner l’Office fédéral responsable, sans pouvoir s’en prendre à l’OAI et sans vouloir donner gain de cause au justiciable. Le juge atteint le point où la logique juridique est impuissante face à l’irresponsabilité organisée du système: c’est pas moi c’est ma sœur qui a cassé la machine à vapeur !  Références 9C_547/2015 du 22 avril 2016

 

La dépression est-elle invalidante ? Valeur de l’expertise privée

Jurisprudence | Assurance invalidité

La dépression est-elle invalidante ? Valeur de l’expertise privé

Résumé Dame A dépose une demande de rente dans un contexte personnel marqué par des difficultés de couple et des problèmes financiers. Une expertise de l’Office AI (ci-après OAI) retient un trouble anxieux dépressif mixte léger, un trouble dissociatif et un syndrome douloureux somatoforme  sans répercussion sur la capacité de travail. Une expertise privée, versée à la procédure par Dame A, retient un trouble dépressif récurrent (épisode actuel sévère avec symptômes psychotiques et syndrome somatique), un trouble de la personnalité émotionnellement labile de type borderline, et aucune capacité de travail. Néanmoins, l’OAI refuse ses prestations au motif que les plaintes de Dame A ne reposent sur aucun substrat médical. Dame A reproche à l’OAI de n’avoir pas vu l’atteinte médicale objectivable dont elle souffre et obtient gain de cause devant le Tribunal fédéral (ci-après TF). Face à deux expertises contradictoires il fallait examiner objectivement tous les documents et indiquer les raisons pour lesquelles une opinion est mieux fondée qu’une autre : seul le contenu matériel d’un document médical permet d’en apprécier la portée. Un rapport médical ne peut être écarté pour l’unique raison qu’il émane du médecin traitant,  qu’il a été établi à la demande d’une partie ou par un médecin se trouvant dans un rapport de subordination vis-à-vis d’un assureur. S’agissant de Dame A le TF rappelle que les souffrances psychosociales ou socio économiques ne permettent plus d’accéder aux prestations de l’AI si un substrat médical n’entrave pas sérieusement la capacité de gain. De plus, la jurisprudence est réticente à reconnaître la caractère invalidant d’un trouble de la lignée dépressive, estimant que les dépressions sont généralement accessibles à un traitement. En présence de tels troubles elle exige donc que l’évaluation médicale décrive le processus thérapeutique et évalue l’influence des facteurs psychosociaux et socioculturels sur le tableau clinique. Or, en l’espèce, l’OAI a porté toute son attention sur les facteurs socioéconomiques plutôt que de procéder à une appréciation consciencieuse des différents points de vue médicaux versés à la procédure. En n’expliquant pas selon quels critères objectifs il  avait retenu l’avis isolé de son expert, de même qu’en écartant celui du contre-expert privé parce que ce dernier aurait nécessairement relayé les plaintes les plus alarmantes de sa cliente, l’OAI a sombré dans l’arbitraire. Commentaire Pour restreindre l’accès aux rentes la jurisprudence a artificiellement séparé la santé de son contexte social.  Du coup, la dépression, très souvent liée à l’environnement qui la voit naitre et la fait croître, en est devenue une maladie a priori non invalidante. Les OAI ont saisi l’aubaine pour refuser des rentes dès qu’un facteur économique ou social peut expliquer la dépression. Piégé dans cette absurdité le TF s’efforce ici de retrouver le bon sens en exigeant qu’un contexte social douloureux ne soit pas prétexte à réduire la dépression à caprice soluble dans la pharmacopée. C’est bien gentil mais peu efficace, car la dépression, quelle que soit son origine, est une maladie qui peut réduire à néant la capacité de gain et devrait toujours être envisagée comme potentiellement invalidante. Références 9C_55/2016 du 14 juillet 2016  

Le métier de femme au foyer : libre choix ou nécessité médicale?

Jurisprudence | Assurance invalidité

Le métier de femme au foyer : libre choix ou nécessité médicale?

Résumé

Atteinte dans sa santé depuis bien longtemps, Dame A dépose une demande de rente en novembre 2011, époque où son mari part à la retraite. Elle se déclare alors femme au foyer. L’Office AI (ci-après OAI) la considère comme telle et lui trouve, dans cette activité ménagère, un taux d’invalidité trop bas pour ouvrir le droit à une rente. Il estime que Dame A se consacre à son ménage par choix et ne se demande pas si, dotée d’une bonne santé, elle aurait travaillé. L’OAI reproche également à Dame A de n’avoir déposé sa demande que pour des raisons financières liées à la retraite de son mari et de ne pas avoir été proactive dans la recherche d’un emploi depuis que son fils est devenu indépendant. La rente est refusée. Dame A se plaint d’arbitraire, car l’OAI n’a pas tenu compte des multiples activités qu’elle a toujours exercées (vendeuse, caissière, concierge à 12%, marchés artisanaux entre 1973 et 2010), malgré ses atteintes  la santé. Le Tribunal fédéral (ci-après TF) lui donne raison et lui octroie une rente entière sur la base d’une incapacité de travail de 80% au moins dans toute activité. L’OAI aurait dû tenir compte de  l’état de santé défaillant de Dame A depuis l’adolescence et se demander ce qu’elle aurait fait si elle n’avait pas été atteinte dans sa santé depuis si longtemps, au lieu de la considérer comme une femme au foyer par choix. Il fallait donc examiner quelle aurait été son activité en novembre 2011 si elle n’avait pas été atteinte dans sa santé depuis 30 ans. Or il ressort des faits que Dame A a, tout au long de sa vie, sous réserve des années qui ont immédiatement suivi la naissance de son fils, exercé des activités professionnelles correspondant à sa mince capacité de travail. Dès lors son faible taux d’activité ne s’explique pas par un choix, mais reflète une capacité de travail réduite depuis des années. Le fait que Dame A se soit déclarée femme au foyer correspondait à sa situation en novembre 2011, alors elle était atteinte dans sa santé : on ne saurait en déduire une préférence. Au demeurant, Dame A avait déclaré lors de l’enquête ménagère qu’elle aurait exercé une activité à 100% pour des raisons financières et par choix si sa santé le lui avait permis. Selon le TF, les raisons financières qui ont poussé Dame A à solliciter l’AI une fois son mari à la retraite sont parfaitement naturelles, puisque la rente AI sert précisément à couvrir une incapacité de gain et à pallier un manque financier.

Commentaire

Salaire féminin salaire d’appoint : il y a lieu de s’inquiéter des préjugés persistants des  OAI pour lesquels une épouse ne saurait avoir d’autre raison de travailler que de compléter les revenus de son mari. L’OAI détermine si une femme en bonne santé aurait travaillé en considérant  la situation financière du ménage, l’éducation des enfants, l’âge, les qualifications professionnelles, la formation et les talents. Qu’en est-il de la volonté d’indépendance et de la participation à la vie sociale ?

Références
9C_722/2016 du 17 février 2017

La suppression d’une rente servie depuis 15 ans au moins présume un droit à des mesures d’ordre professionnel

Jurisprudence | Assurance invalidité

La suppression d’une rente servie depuis 15 ans au moins présume un droit à des mesures d’ordre professionnel

Résumé La rente de Sieur A, souffrant de fibromyalgie et de somnolence diurne, est supprimée à l’issue d’une procédure de révision. Il y avait eu droit pendant 18 ans. Comme son taux d’invalidité est désormais inférieur à 20 %, l’Office AI (ci-après OAI) ne lui accorde pas de mesures d’ordre professionnel et le renvoie aussi sec sur le marché du travail. Sieur A ne l’entend pas de cette oreille et le Tribunal fédéral lui donne raison, reprochant aux juges fribourgeois de ne pas avoir respecté sa jurisprudence. En cas de réduction ou suppression d’une rente, par révision ou reconsidération, des mesures d’ordre professionnel sont nécessaires lorsque la personne assurée est âgée de 55 ans révolus ou qu’elle a bénéficié d’une rente pendant quinze ans au moins. Dans de tels cas, la réadaptation par soi-même ne peut, sauf exception, pas être exigée. Il faut, au contraire, présumer que de tels assurés ne peuvent pas entreprendre seuls les démarches nécessaires à  tirer profit de leur capacité résiduelle de travail. L’OAI aurait donc dû vérifier dans quelle mesure Sieur A avait besoin de mesures d’ordre professionnel même s’il avait recouvré une capacité de travail et indépendamment du taux d’invalidité qui subsistait.

Commentaire L’assuré obtient gain de cause, tant mieux. Toutefois, il est regrettable que des assurés doivent aussi souvent aller jusqu’au tribunal suprême, à grands frais d’avocats, pour obtenir des prestations dont le droit ne fait l’objet d’aucune controverse de doctrine ni aucune incertitude de jurisprudence.

Références 9C_517/2016 du 7 mars 2017

Obligation d’informer de l’Office AI, contribution d’assistance

Jurisprudence | Assurance invalidité

Obligation d’informer de l’Office AI, contribution d’assistance

Résumé Pour avoir droit à une contribution d’assistance comme adulte, un assuré qui n’a pas l’exercice des droits civils, qui ne peut pas tenir son propre ménage, ni suivre une formation professionnelle ou exercer une activité lucrative (voir article 39b RAI) doit en avoir reçu une en tant que mineur ; il ne suffit pas qu’il y ait eu droit, il faut qu’il en ait bénéficié effectivement. En mars 2013, la mère de Sieur A dépose une demande de contribution d’assistance pour mineurs auprès de l’Office AI (ci-après OAI). Suite à diverses interpellations de l’OAI, la mère de Sieur A transmet le formulaire d’auto-déclaration ainsi qu’une facture en juillet 2014. Sieur A devient majeur en octobre 2014. Une enquête à domicile a lieu le 4 octobre et, le 9 juillet 2015, l’OAI reconnait le droit de Sieur A à une contribution d’assistance pour mineurs. Le 22 septembre 2015 l’OAI met Sieur A au bénéfice d’une contribution d’assistance pour adulte. Constatant alors que Sieur A n’a jamais touché effectivement sa contribution d’assistance lorsqu’il était mineur, l’OAI reconsidère sa décision du 22 septembre et supprime la contribution pour adulte. Saisi de l’affaire, le Tribunal fédéral (ci-après TF) reproche à l’OAI de n’avoir pas rendu l’assuré attentif au risque de perdre son droit à une contribution d’assistance pour adulte lorsqu’il a interpellé la mère de Sieur A, qui retardait la procédure en raison d’un manque de disponibilité. De plus, comme l’enquête a été effectuée après la majorité de Sieur A, ce dernier a été placé dans l’impossibilité concrète de remplir la condition « d’avoir bénéficié, au moment de devenir majeur, d’une contribution d’assistance pour mineur ». L’OAI n’a pas rempli son devoir de conseil, fondé sur l’article 27 de la loi sur la partie générale du droit des assurances sociales (ci-après LPGA). Et le TF d’accorder à Sieur A le droit à une contribution d’assistance pour adulte bien qu’il ne remplisse pas, par la faute de l’OAI, la condition d’avoir touché une contribution d’assistance pour mineur. Commentaire L’octroi d’une prestation à un assuré qui n’en remplit pas les conditions à cause d’une violation de ses devoir par l’assureur est chose si rare qu’on croit devoir jubiler. On préférerait pourtant que les assureurs sociaux fournissent sans rechigner les renseignement et les conseils gratuits que la LPGA les oblige à procurer à chacun. Références 9C_753/2016 du 3 avril 2017