Droit à une audience publique expressément demandée

Jurisprudence | Assurance invalidité

Droit à une audience publique expressément demandée

Résumé
Après deux tentatives infructueuses Sieur A dépose, en juin 2017, une troisième demande de prestations auprès de l’assurance-invalidité. L’office AI refuse d’entrer en matière au motif que l’assuré n’a pas rendu plausible une aggravation de son état de santé depuis la dernière décision négative. Sieur A recourt au Tribunal cantonal et demande la mise en œuvre de débats publics. Débouté par la juridiction cantonale et se fondant sur l’article 6 §1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales* (CEDH) Sieur A interjette un recours en matière de droit public au Tribunal fédéral (ci-après TF) qui lui donne raison.

Le TF explique que les débats publics doivent avoir lieu, non pas devant lui, mais devant les instances judicaires précédentes pour autant que le justiciable présente une demande formulée de manière claire et indiscutable. Le juge peut toutefois renoncer à une audience publique lorsque la demande est abusive, chicanière ou dilatoire ou encore lorsque l’objet du litige porte sur des questions hautement techniques. Le TF rappelle à cet égard qu’il avait déjà précisé dix ans auparavant (ATF 136 I 279 consid. 3 p. 283 s.) qu’on ne pouvait pas renoncer aux débats publics au motif que la procédure écrite conviendrait mieux pour discuter des questions d’ordre médical, même si l’objet du litige était une confrontation d’avis spécialisés au sujet de l’état de santé et de l’incapacité de travail d’un assuré. Constatant que la juridiction cantonale n’avait aucun motif pour s’opposer à la demande d’audience publique formulée sans équivoque par Sieur A, le TF annule le jugement et renvoie la cause au Tribunal cantonal pour qu’il donne suite à la requête de débats publics et statue à nouveau.

*Art. 6 Droit à un procès équitable

  1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d’audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou une partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances spéciales la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

Commentaire
Des justiciables refusant les mots savants et les logiques complexes qui les condamnent par écrit réclament le droit à la parole : cette affaire rappelle une demande similaire, également couronnée de succès, dans le domaine de l’aide sociale (voir 8C_63/2019 résumé sur ce lien).

Références
9C_59/2020 du 13 mai 2020

 

Obligation de collaborer : suppression d’une rente pour n’avoir pas rempli à temps un questionnaire pour la révision de la rente

Jurisprudence | Assurance invalidité

Obligation de collaborer : suppression d’une rente pour n’avoir pas rempli à temps un questionnaire pour la révision de la rente

Résumé
Dame A est mise au bénéfice d’une rente dès le 1er septembre 2010 du fait d’un trouble dépressif récurent. 5 mois plus tard l’Office AI lui envoie un questionnaire pour la révision de la rente. Dame A n’y donne pas suite et sa rente est supprimée pour violation de l’obligation de collaborer. La Cour cantonale  a considéré que l’absence de réaction de Dame A aux courriers de l’Office AI l’enjoignant à remplir un questionnaire de révision de la rente était excusable compte tenu de ses troubles psychiques. De l  sorte elle a  jugé que l’Office AI avait eu tort de supprimer la rente au motif que Dame A avait refusé de collaborer à l’instruction du dossier.

Commentaire
Dans cette affaire l’Office AI a très durement sanctionné une personne que sa maladie rend incapable de faire face à ses obligations administratives et qui touche une rente précisément pour ce motif. L’assuré est en quelque sorte pénalisé par l’Office AI pour la maladie qui lui donne droit à une rente AI. Le Tribunal cantonal a rejeté ce raisonnement mais le Tribunal fédéral ne s’est malheureusement pas prononcé.

Références
9C_877/2013 du 11 mars 2014

Evaluation de l’invalidité par une enquête économique à domicile

Jurisprudence | Assurance invalidité

Evaluation de l’invalidité par une enquête économique à domicile

Résumé Dame A travaille à 80% comme secrétaire et à 20% dans son ménage. Suite à un état dépressif elle demande des prestations à l’assurance invalidité. Une enquête économique sur le ménage est effectuée à son domicile pour déterminer le degré d’invalidité concernant la part ménagère. Celle-ci est estimée à 8%. Dame A conteste ce pourcentage et demande la mise sur pied d’une expertise médicale déterminant le taux de l’invalidité ménagère sur le plan psychique. Il s’agit de savoir si cette demande est justifiée. Selon le Tribunal fédéral  l’enquête économique sur le ménage, compte tenu de sa nature, est surtout  un moyen approprié pour évaluer l’étendue d’empêchements dus à des limitations physiques. Cependant, elle garde valeur probante pour estimer les empêchements rencontrés dans les activités habituelles en raison de troubles d’ordre psychique. Le Tribunal  ajoute que, en cas de troubles psychiques, s’il y a des divergences entre les résultats de l’enquête économique et les constatations d’ordre médical, celles-ci ont, en règle générale, plus de poids que l’enquête à domicile. Selon le Tribunal fédéral, cette priorité de principe est justifiée par le fait qu’il est souvent difficile pour l’enquêteur.trice à domicile de reconnaître et d’apprécier l’ampleur de l’atteinte psychique et les empêchements qui en résultent. En l’espèce, le Tribunal fédéral a estimé qu’il n’y avait pas de divergences entre les résultats de l’enquête économique sur le ménage et les constatations d’ordre médical relatives à la capacité d’accomplir les travaux habituels. Il a donc rejeté la demande de Dame A. Commentaire Le Tribunal fédéral reconnaît qu’il est difficile d’évaluer les répercussions de troubles psychiques sur la capacité à tenir son ménage de sorte que si l’enquête ménagère est contredite par des constatations d’ordre médical, celles-ci priment. Références 9C_925/2013 du 1er avril 2014

 

Recouvrement de la capacité de gain et suppression de rente

Jurisprudence | Assurance invalidité

Recouvrement de la capacité de gain et suppression de rente

Résumé
A la suite d’une procédure initiée début mai 2015, Dame A, qui voit 9 médecins se pencher sur son cas, reçoit trois ans plus tard une rente entière pour la période du 1er novembre 2015 au 29 février 2016, puis pour celle du 1er avril 2016 au 30 septembre 2017. Pour le mois de mars 2016 l’expert mandaté par office AI (ci-après OAI) estime, sans motivation et à l’inverse des autres médecins, que la capacité de travail de Dame A était entière. De son côté l’OAI juge que Dame A a eu une pleine capacité de travail au mois de mars 2016 du fait qu’elle s’était inscrite au chômage à 100 % dès le 1er janvier 2016. S’adressant au Tribunal fédéral (ci-après TF) Dame A explique que son inscription au chômage avait pour seul but de préserver son minimum vital après la fin du versement des indemnités journalières de l’assurance perte de gain et ne pouvait, dès lors, pas préjuger du droit aux prestations de l’assurance invalidité. Le TF lui donne raison sur ce point mais sans répondre à la question de savoir si on peut reconnaître une capacité de travail en se fondant uniquement sur l’inscription au chômage à laquelle on donnerait plus d’importance qu’aux attestations contraires des médecins. Plutôt que de statuer sur ce point sensible le TF préfère constater une violation du droit : même s’il y avait eu une amélioration de la capacité de travail de Dame A au 1er janvier 2016, celle-ci n’aurait pu entraîner une modification du droit à la rente que trois mois plus tard (soit dès avril 2016) en application de l’article 88a al. 1 RAI*. Constatant d’autre part que le service médical régional (SMR) avait estimé la capacité de travail de Dame A de 50% pour le mois de mars 2016, le TF accorde un demi rente pour cette période.

* Art. 88a1 Modification du droit

1 Si la capacité de gain ou la capacité d’accomplir les travaux habituels de l’assuré s’améliore ou que son impotence ou encore le besoin de soins ou le besoin d’aide découlant de son invalidité s’atténue, ce changement n’est déterminant pour la suppression de tout ou partie du droit aux prestations qu’à partir du moment où on peut s’attendre à ce que l’amélioration constatée se maintienne durant une assez longue période. Il en va de même lorsqu’un tel changement déterminant a duré trois mois déjà, sans interruption notable et sans qu’une complication prochaine soit à craindre.

2 Si la capacité de gain de l’assuré ou sa capacité d’accomplir les travaux habituels se dégrade, ou si son impotence ou encore le besoin de soins ou le besoin d’aide découlant de son invalidité s’aggrave, ce changement est déterminant pour l’accroissement du droit aux prestations dès qu’il a duré trois mois sans interruption notable. L’art. 29bis est toutefois applicable par analogie.

Commentaire
On aurait bien voulu que le TF nous rassure sur la légitimité qu’il y a à s’inscrire au chômage pour ne pas tomber dans l’indigence pendant que l’AI prend tout son temps et le nôtre pour statuer. Hélas, en l’état on peut encore craindre que l’inscription à l’assurance-chômage soit traitée par l’OAI comme un indice de la capacité de gain de l’assuré.

Les expertise arbitraires peuvent être annoncées au centre de déclaration expertises AI mis en place par Inclusion handicap
https://www.inclusion-handicap.ch/fr/themes/expertises-de-lai/centre-de-declaration_0-484.html

Références
9C_748/2019 du 18 mai 2020

Capacité résiduelle de gain sur le marché du travail

Jurisprudence | Assurance invalidité

Capacité résiduelle de gain sur le marché du travail

Résumé
Sieur A, qui souffre d’un trouble da la personnalité borderline, est au bénéfice d’une demi rente de l’assurance-invalidité depuis 16 ans, lorsqu’une rente entière lui est refusée au motif que son état de santé est demeuré stable. Sieur A recourt au Tribunal fédéral (ci-après TF) alléguant que sa possibilité concrète d’exploiter sa capacité résiduelle de gain sur le marché du travail n’a pas été examinée. Le TF lui donne raison. Selon le TF une activité qui ne peut être exercée que sous une forme tellement restreinte qu’elle n’existe pratiquement pas sur le marché du travail, ou une activité dont l’exercice suppose de la part de l’employeur des concessions si irréalistes qu’il semble exclu de trouver un emploi correspondant ne sont pas exigibles. En l’espèce Sieur A, qui ne peut fonctionner sans problèmes que dans sa petite bulle, n’offre pas ce que l’on est en droit d’attendre d’un travailleur. D’autre part, le TF reconnait que les modifications structurelles du marché du travail sont des circonstances dont il y a lieu de tenir compte en matière d’assurance-invalidité. Les conditions économiques qui existaient au moment de l’octroi de la demi-rente d’invalidité, en 1990, se sont modifiées à un tel point que Sieur A n’est plus en mesure de trouver un emploi adapté à la structure de sa personnalité sur un marché équilibré du travail. Ainsi, faute de capacité résiduelle de travail, Sieur A présente une invalidité totale qui lui donne droit à une rente entière.

Commentaire
Surprenant, encourageant et apprécié à sa juste valeur, cet arrêt reconnaît incidemment que la réalité du marché du travail peut constituer un obstacle à une prise d’emploi qui aurait été exigible quelques années auparavant.

Références
9C_984/2008 du 4 mai 2009
Sur le même sujet : 8C_683/2011 du 16 août 2012 (en italien) et 9C_659/2014 du 13 mars 2015

 

Valeur probante de l’avis du médecin traitant généraliste

Jurisprudence | Assurance invalidité Valeur probante de l’avis du médecin traitant généraliste Résumé Sieur A, qui souffre d’une schizophrénie à progression lente, dépose une demande auprès de l’Office AI en juin 2012. Son médecin traitant fait état de troubles psychotiques aigus depuis 2004, ayant engendré diverses incapacités de travail. Selon lui, le traitement neuroleptique et antidépresseur empêche Sieur A d’exercer son activité de chauffeur poids lourds. Cet avis est confirmé par deux rapports antérieurs des Institutions psychiatriques du Valais romand (IPVR). L’Office AI rejette la demande en se fondant sur l’examen effectué par un médecin du Service médical régional (SMR), spécialiste en psychiatrie: selon ce psychiatre, Sieur A ne souffre d’aucune atteinte à la santé et jouit d’une pleine capacité de travail. Sieur A s’adresse alors au Tribunal cantonal en produisant deux documents médicaux établis par le Centre de Compétences en Psychiatrie Psychothérapie (CCPP) et son médecin traitant. La juridiction cantonale le déboute. Il recourt au Tribunal fédéral (TF) qui lui donne raison. Le TF constate que les rapports du CCPP et du médecin traitant sont concordants alors qu’ils divergent de celui du SMR du point de vue du diagnostic et de l’appréciation de la capacité de travail. Pour le TF, cette divergence suscite un doute quant à la valeur des conclusions médicales sur lesquelles reposent la décision de Office AI. Le TF ajoute que le seul fait que le médecin traitant ne soit pas spécialiste en psychiatrie ne suffit pas à écarter son appréciation. En effet, selon la jurisprudence, l’élément déterminant pour la valeur probante d’un certificat médical n’est ni son origine, ni sa désignation (« rapport » ou « expertise »), mais bel et bien son contenu. Or les observations du médecin traitant sont constantes quant au diagnostic et à la capacité résiduelle de travail tout en étant cohérentes avec celles des autres psychiatres (IPVR et CCPP). Dans ces conditions, la cause doit être renvoyée à l’instance précédente afin qu’elle procède à une instruction médicale complémentaire et rende un nouveau jugement.

Commentaire Les arrêts rappelant que la force probante d’une évaluation médicale dépend de son contenu et non du titre de celui/celle qui l’émet sont toujours bienvenus. Mais on est déconcerté de constater qu’un médecin spécialisé en psychiatrie peut passer à côté d’une schizophrénie incapacitante détectée par ses confrères: est-ce parce qu’il travaille pour le SMR qui travaille pour l’Office AI qui travaille à économiser sur les prestations ? Peut-être, à l’instar de Sieur A, nous souffrons-nous d’un « sentiment de persécution » …

Références 9C_743/2014 du 17 avril 2015